VITIB SA : Entre ambitions et défis, le technopôle ivoirien cherche sa voie

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Le Village des Technologies de l’Information et de la Biotechnologie (VITIB) de Grand-Bassam incarne les ambitions numériques de la Côte d’Ivoire. Mais vingt ans après sa création, le bilan reste contrasté entre succès écosystémique et fragilités structurelles.

Créé en 2004 avec l’objectif de transformer la Côte d’Ivoire en hub technologique régional, VITIB SA traverse aujourd’hui une période charnière. Le technopôle de 242 hectares, dont 180 sont déjà aménagés, affiche des résultats encourageants à l’échelle de son écosystème tout en révélant des vulnérabilités préoccupantes dans sa gestion propre.

Un écosystème qui génère de la valeur

Les chiffres globaux de l’écosystème VITIB sont impressionnants. Selon son directeur général Dosso Mébéti, nommé récemment à la tête de la structure, le technopôle a généré plus de 60 milliards de FCFA de chiffre d’affaires cumulé et créé plus de 1 000 emplois directs et indirects. Cette performance s’appuie sur la présence de grands acteurs internationaux comme Orange, MTN et Prestige Telecom, ainsi que sur six centres de données de niveau Tier III.

Le projet de nouveau centre de données “souverain” de ST Digital, financé par des fonds africains et réalisé par des ingénieurs locaux, illustre l’évolution du rôle de VITIB. Le site ne se contente plus d’héberger des filiales étrangères mais devient un facilitateur de l’industrialisation technologique locale.

Des fragilités internes préoccupantes

Cependant, l’analyse des comptes de VITIB SA révèle une réalité plus nuancée. En 2022, la société de gestion du technopôle a enregistré un chiffre d’affaires de seulement 1,79 milliard de FCFA avec 37 employés. Plus inquiétant, son résultat net a chuté de 48%, principalement en raison d’une provision de 971 millions de FCFA pour créances clients douteuses. Cette situation met en lumière des problèmes de recouvrement qui questionnent soit la solidité financière des entreprises résidentes, soit l’efficacité des mécanismes de gestion interne.

La gouvernance de VITIB a également été mise à l’épreuve. L’arrestation en mai 2023 de l’ancien président du conseil d’administration Ané Boni Siméon pour des charges de fraude, bien que non directement liée aux activités du technopôle, a souligné des vulnérabilités institutionnelles susceptibles d’éroder la confiance des investisseurs.

Le défi de l’intégration locale

Au-delà des aspects financiers, VITIB fait face à un défi d’intégration dans l’économie locale. Malgré ses avantages fiscaux exceptionnels – exonération d’impôts de 5 ans, TVA et droits de douane nuls -, la zone franche peine à jouer pleinement son rôle de levier économique national. L’accessibilité difficile du site pour les travailleurs ne disposant pas de véhicule personnel pose également des questions sur l’inclusivité sociale du projet.

Cette situation d’enclave économique interroge sur la capacité de VITIB à créer des ponts durables avec le tissu économique local, condition nécessaire à un développement véritablement transformateur.

Un plan stratégique ambitieux mais risqué

Face à ces défis, VITIB a adopté en novembre 2023 un plan stratégique quinquennal de 180 milliards de FCFA visant à transformer le site en “ville intelligente intégrée”. Ce programme prévoit la réforme du cadre institutionnel, la diversification des services et la construction d’infrastructures majeures incluant un campus international et une centrale d’énergie renouvelable.

Le financement de ce projet colossal repose sur l’attraction de “partenaires investisseurs de renom” dans un modèle de partage des revenus. Cette orientation marque un tournant majeur : VITIB evolue d’un projet étatique vers un modèle plus ouvert aux capitaux privés internationaux.

La mission récente du directeur général à San Francisco, avec des rencontres chez Salesforce et Stellenium AI, témoigne de cette volonté d’ouverture internationale. Reste à savoir si cette stratégie permettra de mobiliser les financements nécessaires dans un contexte où la compétition s’intensifie entre technopôles africains.

Une position à consolider face à la concurrence régionale

La comparaison avec la Kigali Innovation City (KIC) au Rwanda révèle les défis du modèle VITIB. Conçue dès l’origine comme un partenariat public-privé avec des investisseurs comme Africa50, KIC affiche des objectifs similaires de création d’emplois (40 000) mais avec un montage financier potentiellement plus agile.

Cette différence structurelle pourrait expliquer certaines difficultés de VITIB à stabiliser son modèle économique et à attirer suffisamment d’investissements privés.

L’heure des choix stratégiques

Vingt ans après sa création, VITIB SA se trouve à un carrefour décisif. Le technopôle a indéniablement contribué à positionner la Côte d’Ivoire sur la carte technologique africaine et créé un écosystème générant de la valeur. Cependant, les fragilités internes et les défis d’intégration locale exigent des réformes profondes.

Le succès du nouveau plan stratégique dépendra de la capacité de la direction à attirer des investissements de premier plan tout en réformant la gouvernance pour plus de transparence et d’efficacité. L’ambition de faire de VITIB une “Silicon Valley” ouest-africaine reste légitime, mais sa concrétisation nécessitera une transformation aussi profonde que celle qu’elle prétend impulser dans l’économie ivoirienne.


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