Plus de 60 ans après sa création, la Société pour le Développement Minier de la Côte d’Ivoire (SODEMI) traverse une phase de transformation profonde. L’entreprise publique, pilier historique du secteur minier ivoirien, réinvente son modèle économique face aux défis de la transition énergétique mondiale.
Créée en 1962 avec un capital initial de 65 millions FCFA, aujourd’hui porté à 600 millions FCFA, la SODEMI affiche en 2022 des résultats financiers qui témoignent d’une mutation stratégique en cours. Paradoxalement, malgré l’absence totale de revenus de production, l’entreprise publique a généré des produits d’exploitation de 1,78 milliard FCFA, en hausse de 101,9% par rapport à 2021.
Un Modèle Économique en Pleine Redéfinition
Cette performance s’explique par une réorientation majeure de l’activité. Les revenus de placements financiers représentent désormais 77% des produits totaux de la SODEMI, soit 6,85 milliards FCFA. Une diversification qui confère à l’entreprise une stabilité financière durant cette “phase de déploiement”, période transitoire marquée par l’intensification des travaux d’exploration et le renforcement des capacités techniques.
Le chiffre d’affaires, quant à lui, a bondi de 54% pour atteindre 287,4 millions FCFA, principalement grâce aux services de géophysique et de laboratoire. Cette évolution illustre le passage d’un modèle d’exploitation directe vers celui d’un prestataire de services techniques spécialisés.
“La SODEMI capitalise désormais sur son expertise de plus de six décennies pour devenir un facilitateur du développement minier plutôt qu’un simple opérateur”, explique-t-on dans les milieux sectoriels. Cette transformation s’appuie sur des infrastructures de pointe, notamment un Laboratoire d’Analyses Minérales (LAM) accrédité selon la norme ISO/IEC 17025 version 2017, gage de crédibilité internationale.
Cap sur les Minéraux Critiques
L’entreprise dirigée par Seydou Moussa Koné depuis août 2021 mise résolument sur l’avenir. En 2022, six projets d’exploration internes ont mobilisé ses équipes, avec un focus particulier sur les “métaux de haute technologie” dans la région de Sakassou-Béoumi-Botro et la recherche de nickel et cobalt à Kaniasso et Samapleu.
Cette orientation s’inscrit dans la dynamique mondiale de transition énergétique. Le nickel et le cobalt sont en effet des composants essentiels des batteries électriques, positionnant potentiellement la Côte d’Ivoire sur les futures chaînes d’approvisionnement mondiales en minéraux critiques.
Le portefeuille de permis de la SODEMI témoigne de cette stratégie diversifiée : 9 permis d’exploitation en partenariat, 8 permis de recherche en propre, 4 permis de recherche en partenariat, et 14 permis de recherche transférés à des partenaires. Une approche qui privilégie le partage des risques et l’attraction de capitaux privés.
Des Partenariats Stratégiques Porteurs
La vente en mars 2017 de la participation de 30% de la SODEMI dans le projet aurifère d’Ity illustre cette nouvelle philosophie. Endeavour Mining a acquis 25% du projet et le Didier Drogba Group 5%, l’État conservant 10%. Cette opération a permis de valoriser les actifs tout en dégageant des liquidités pour de nouveaux investissements.
Aujourd’hui, la SODEMI détient des participations dans plusieurs filiales stratégiques : SMI (5%), SMD (5%), CML (51%), EPC CI (25%), FOREMI (49%), ou encore Ivoire Coltan (25%). Ces investissements s’inscrivent dans une logique de portefeuille diversifié, réduisant l’exposition aux risques sectoriels.
Un Modèle Social Contrasté
Sur le terrain, la SODEMI présente un bilan contrasté en matière d’impact social. Dans la zone diamantifère de Séguéla, l’entreprise publique a brillamment organisé les mineurs artisanaux en Sociétés Coopératives Simplifiées (SCOOPS), avec un modèle de répartition équitable : 8% pour la SODEMI, 12% pour le développement communautaire et 80% pour les artisans.
Ce succès contraste avec la situation alarmante de Tortiya, décrite comme “complètement abandonnée” par la supervision gouvernementale, où l’exploitation illégale génère un “chaos sociétal et environnemental”. Cette disparité révèle les défis de gouvernance auxquels fait face l’entreprise sur l’ensemble du territoire national.
Ambitions et Défis du Plan “Horizon d’Or 2025”
Le plan stratégique “Horizon d’or 2025” de la SODEMI vise à concrétiser la vision présidentielle de faire du secteur minier un pilier contribuant à 6% du PIB national d’ici 2025. Six axes stratégiques guident cette ambition : intensification de l’exploration, développement des mines semi-industrielles, transformation des produits miniers, valorisation des potentialités et réhabilitation du siège social.
L’entreprise a d’ailleurs investi 2,90 milliards FCFA en 2022 pour l’acquisition de matériel et la réhabilitation de son siège, témoignage concret de cette montée en gamme. Un projet d’usine d’affinage d’or et d’argent, annoncé en 2021, pourrait renforcer cette stratégie de remontée dans la chaîne de valeur, bien qu’aucune mise à jour récente n’ait été communiquée.
Gouvernance et Transparence : Un Atout Concurrentiel
La SODEMI se distingue par sa gouvernance, ayant reçu le “Prix de la Performance Économique et Financière secteur Non Marchand” dans le cadre du Prix d’Excellence de la Gouvernance des Entreprises Publiques. Cette reconnaissance constitue un avantage concurrentiel dans un secteur où les questions de transparence sont cruciales pour attirer les investisseurs internationaux.
L’entreprise a d’ailleurs participé activement à l’Initiative pour la Transparence dans les Industries Extractives (ITIE), publiant ses états financiers et répondant favorablement aux demandes de transparence.
Perspectives : Vers un Nouveau Paradigme
Malgré l’absence de revenus de production en 2022, la SODEMI a versé 127,5 millions FCFA de dividendes nets et 109 millions FCFA d’impôts à l’État. Ces contributions, ajoutées à son rôle de facilitateur d’investissements privés, redéfinissent sa valeur ajoutée pour l’économie nationale.
Le défi principal reste la concrétisation des ambitions stratégiques face aux réalités opérationnelles. La transition d’un modèle d’exploitation directe vers celui de facilitateur technique nécessite des investissements soutenus et une exécution irréprochable.
Dans un contexte mondial marqué par la course aux minéraux critiques, la SODEMI dispose d’atouts considérables : expertise technique consolidée, base de données géologiques unique, et réputation de gouvernance solide. Sa capacité à transformer ces avantages comparatifs en succès opérationnels déterminera son rôle dans la souveraineté économique minière de la Côte d’Ivoire.
L’entreprise publique illustre ainsi les mutations du secteur extractif africain, où la valorisation de l’expertise technique et la facilitation d’investissements privés responsables deviennent des leviers stratégiques aussi importants que l’exploitation directe des ressources naturelles.
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