PwC et l’Afrique francophone : chronique d’une rupture annoncée

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Le 31 mars 2025, le réseau mondial PricewaterhouseCoopers (PwC) a officiellement annoncé la séparation de ses cabinets d’Afrique subsaharienne francophone. Désormais, des pays comme la Côte d’Ivoire, le Gabon, le Cameroun, la République Démocratique du Congo, le Congo, Madagascar, la Guinée, le Sénégal, la Guinée Équatoriale et le Tchad n’appartiennent plus au prestigieux réseau mondial. Cette rupture marque la fin d’une relation de plus de cinquante ans entre PwC et ces territoires. Elle est l’aboutissement d’une longue série de tensions internes, de réorganisations stratégiques et de conflits de gouvernance.

Une histoire d’intégration avec PwC France

Historiquement, les bureaux d’Afrique francophone étaient pilotés depuis Paris. Après la fusion mondiale entre Price Waterhouse et Coopers & Lybrand en 1998, les filiales africaines ont été intégrées au cluster « PwC France et Afrique francophone ». Cette configuration permettait un accompagnement technique, des synergies opérationnelles et un transfert de compétences. Les décisions majeures étaient prises à Paris, tandis que les cabinets locaux bénéficiaient d’une relative autonomie dans leur gestion quotidienne. Pendant longtemps, ce modèle a permis une croissance stable et un renforcement de la notoriété de PwC sur le continent.

L’arrivée de Nadine Tinen : un tournant décisif

En 2017, Nadine Tinen, fiscaliste camerounaise et partenaire de longue date de PwC, est nommée à la tête de PwC Afrique francophone subsaharienne (AFSS). Elle devient la première femme à diriger cette entité et intègre également le comité de direction de PwC France & Afrique. Visionnaire et déterminée, elle annonce un plan de transformation ambitieux axé sur la digitalisation, la croissance organique, l’accès au conseil stratégique et la formation des talents locaux. Dans cette optique, elle milite pour une rupture du rattachement à PwC France afin que la région soit directement reliée au siège mondial de PwC, à Londres.

Cette demande est acceptée en 2021. Les cabinets africains changent alors de tutelle, quittant le giron français pour relever de PwC Global. Si cette transformation devait permettre un accès plus direct aux ressources mondiales et renforcer l’indépendance des bureaux africains, elle s’est rapidement heurtée à de nombreux obstacles internes et externes.

Tensions internes et audit renforcé de PwC Global

Dès leur basculement sous la supervision directe du siège mondial, les cabinets d’Afrique francophone se voient soumis à des audits de conformité beaucoup plus rigoureux. PwC Global, notamment influencé par sa culture anglo-saxonne très exigeante en matière de normes et de procédures, relève plusieurs manquements dans la gouvernance, les contrôles internes et la gestion financière des entités locales.

Ces critiques récurrentes ont entraîné des frictions entre le siège mondial et les équipes africaines, mais également au sein même des cabinets. Certains partners historiques, notamment en Afrique de l’Ouest, expriment leur mécontentement face à un style de management jugé centralisateur et peu collégial. Les relations se tendent entre Nadine Tinen et plusieurs de ses collaborateurs. En interne, l’on déplore un climat de méfiance, de luttes de pouvoir et d’insatisfaction croissante.

Un divorce inévitable

Face à la détérioration du climat interne et à l’incapacité des cabinets à se conformer aux exigences de PwC Global, le siège prend la décision de mettre fin à sa collaboration avec les entités francophones subsahariennes. La décision, présentée comme « mutuellement convenue », cache mal un divorce imposé par le sommet. Le 31 mars 2025, la nouvelle est rendue publique : les bureaux d’Afrique francophone subsaharienne ne feront plus partie du réseau PwC à compter du 1er avril.

Cette séparation sans précédent dans l’histoire récente des cabinets internationaux d’audit marque un tournant pour le secteur. Les cabinets locaux doivent désormais se réinventer, tout en rassurant leurs clients et en conservant leurs talents.

Les conséquences d’une rupture brutale

Pour les cabinets ex-PwC, cette sortie du réseau est un défi immense. Dépourvus de la marque PwC, ils doivent reconstruire une identité forte, maintenir leur crédibilité et éviter l’hémorragie des talents. Certains partenaires ont d’ores et déjà lancé leurs propres structures, à l’image de Nadine Tinen qui a fondé Vinka Tax & Legal au Cameroun. D’autres bureaux prévoient de s’allier pour créer un nouveau réseau régional indépendant.

Côté clients, la rupture entraîne des incertitudes. Les grands comptes internationaux pourraient se tourner vers d’autres Big Four encore présents en Afrique francophone (Deloitte, EY, KPMG), tandis que certains partenaires locaux pourraient accorder une seconde chance aux anciens bureaux PwC, pourvu qu’ils parviennent à maintenir leur niveau d’excellence.

Enfin, pour PwC Global, cette décision a des retombées réputationnelles. Si elle affirme son attachement aux standards les plus élevés, elle reconnaît aussi implicitement un échec de gestion dans une région à fort potentiel. Cette décision pourrait être perçue comme un repli stratégique, laissant le champ libre aux concurrents sur un marché en pleine croissance.

Une nouvelle ère pour le conseil en Afrique francophone

La séparation entre PwC et ses cabinets d’Afrique francophone subsaharienne est l’aboutissement d’une lente dégradation des relations entre un réseau mondial exigeant et une région en quête d’autonomie. Si cette rupture est douloureuse, elle pourrait aussi constituer une opportunité : celle de faire émerger un acteur régional plus agile, enraciné dans les réalités locales, et déterminé à relever les défis économiques du continent.

Le chemin sera long, mais l’Afrique francophone, forte de ses talents et de ses ambitions, a aujourd’hui une page blanche à écrire dans l’univers du conseil. La réussite de cette nouvelle dynamique dépendra de la capacité des anciens bureaux PwC à bâtir un modèle solide, transparent et tourné vers l’avenir.


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