Avec près de 98% du tissu entrepreneurial mais seulement 20% du PIB, les petites et moyennes entreprises cristallisent les enjeux de l’émergence économique ivoirienne. Analyse d’une décennie de politiques publiques aux résultats mitigés.
Depuis plus d’une décennie, la Côte d’Ivoire mise sur ses petites et moyennes entreprises pour diversifier son économie et créer des emplois. Un pari audacieux quand on sait que ces structures représentent l’écrasante majorité des entreprises du pays mais ne pèsent que 20% du PIB national. Pour corriger ce déséquilibre, l’État a déployé un arsenal institutionnel impressionnant, dont l’efficacité suscite aujourd’hui des interrogations.
Un dispositif institutionnel ambitieux
La création d’un ministère dédié aux PME en 2012, avec Sidiki Konaté comme premier titulaire, marquait la volonté politique de structurer ce secteur névralgique. Cette initiative s’accompagnait d’une définition légale claire de ce qu’est une PME en Côte d’Ivoire, comblant un vide juridique qui freinait l’élaboration de politiques ciblées.
L’architecture institutionnelle s’est progressivement étoffée. En 2014, la loi d’orientation de la politique nationale de promotion des PME a donné naissance à l’Agence Côte d’Ivoire PME, transformée en 2022 en société d’État pour gagner en flexibilité opérationnelle. Cette mutation révèle une certaine instabilité institutionnelle, mais aussi une capacité d’adaptation face aux défis rencontrés.
Aujourd’hui, le ministère dirigé par Souleymane Diarrassouba chapeaute un écosystème complexe : la société d’État CI-PME, le Fonds de Garantie des PME, la Bourse de Sous-Traitance et de Partenariat, sans oublier la Chambre nationale des métiers. Un maillage théoriquement complet qui va de la formation au financement.
Des résultats en demi-teinte
Les chiffres officiels témoignent d’une montée en puissance progressive. Entre 2018 et 2021, plus de 24 500 PME ont été accompagnées sous diverses formes. En 2023, ce sont 7 000 entreprises qui ont bénéficié d’un appui, avec un objectif de 8 000 pour 2024. Un rythme qui s’accélère mais reste modeste face aux 65 000 PME recensées dans le pays.
Du côté financier, le Fonds de soutien aux PME a mobilisé environ 33,5 milliards de francs CFA pour 859 entreprises entre 2020 et 2021, loin des 150 milliards initialement annoncés. Ces financements ont néanmoins permis de maintenir des milliers d’emplois pendant la crise sanitaire, un impact social non négligeable.
L’accès aux marchés publics constitue un autre baromètre. En 2024, les PME ont remporté 4 165 marchés contre 3 130 l’année précédente, soit une progression de 62% en nombre. Paradoxalement, leur part en valeur a reculé de 45,4% à 34,9%, révélant que ces entreprises captent surtout de petits contrats.
Les obstacles persistent
Malgré cette mobilisation, les défis structurels demeurent. Le taux de mortalité des PME reste alarmant : plus de 70% ferment avant leur troisième année, principalement par manque de financement. L’accès au crédit bancaire demeure le talon d’Achille du secteur, avec moins de 5% des crédits bancaires dirigés vers les PME.
La couverture territoriale pose également problème. Longtemps concentrés à Abidjan, les dispositifs d’appui peinent à atteindre les entrepreneurs de l’intérieur. Le déploiement du Guichet unique de développement des entreprises (GUDE-PME) sur l’ensemble du territoire vise à corriger ce déséquilibre, mais sa mise en œuvre effective reste à prouver.
La bureaucratie administrative décourage par ailleurs de nombreux porteurs de projets. Les procédures d’obtention d’aides sont jugées lourdes et chronophages, créant une sélection adverse qui favorise les PME déjà structurées au détriment des plus fragiles.
La transformation numérique comme levier
Face à ces difficultés, la digitalisation apparaît comme une voie prometteuse. La plateforme ePME Data, lancée en 2020, a permis l’inscription de plus de 35 000 entreprises. Le Campus PME e-learning a formé 10 000 entreprises pendant la pandémie, démocratisant l’accès au renforcement de capacités.
L’ambition gouvernementale va plus loin avec le programme “PME Connectées”, qui vise à accompagner les petites entreprises dans leur transition numérique. Un enjeu crucial alors que la digitalisation devient un facteur de compétitivité incontournable.
L’intégration régionale en perspective
Les projets d’avenir s’inscrivent dans une logique d’intégration continentale. Le Programme PEPITE, soutenu par l’Union européenne, prépare les PME ivoiriennes aux opportunités de la Zone de libre-échange continentale africaine. L’objectif : transformer les entreprises locales en champions régionaux capables de rivaliser sur les marchés extérieurs.
Cette vision s’appuie sur l’industrialisation du pays, notamment dans la transformation des matières premières agricoles. Faire du cacao, de la noix de cajou ou de l’hévéa des produits finis “Made in Côte d’Ivoire” suppose l’émergence d’un tissu de PME manufacturières performantes.
Perspectives d’amélioration
Pour maximiser l’impact des politiques publiques, plusieurs pistes méritent d’être explorées. La simplification des procédures administratives, via la digitalisation complète des démarches, constitue un préalable. L’augmentation des ressources financières dédiées, notamment par l’implication accrue du secteur privé local, s’avère également nécessaire.
Le renforcement de la proximité territoriale, à travers un maillage efficace du GUDE-PME, conditionne l’accès équitable aux dispositifs d’appui. Enfin, l’instauration d’un suivi personnalisé des entreprises accompagnées pourrait améliorer leur taux de survie.
L’exemple des pays voisins inspire cette réflexion. Le Sénégal a annoncé un programme de financement de 1 000 milliards de francs CFA pour ses PME, tandis que le Maroc a réussi à porter leur contribution à plus d’un tiers du PIB grâce à une politique de clusters industriels.
Un défi de long terme
Douze ans après sa création, le ministère de la Promotion des PME a posé les bases d’un écosystème de soutien structuré. Les résultats, bien que modestes, témoignent d’une dynamique positive. Reste à franchir le cap quantitatif pour transformer ces initiatives en véritable levier de développement économique.
L’enjeu dépasse le seul cadre gouvernemental. Il suppose une mobilisation collective – secteur privé, bailleurs internationaux, collectivités locales – autour d’une vision partagée : faire des PME ivoiriennes les championnes de l’économie de demain. Un pari qui déterminera largement la réussite du projet d’émergence du pays.
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