Mobilisation des ressources internes : l’impératif d’une fiscalité performante face à l’endettement

  • 0
  • 17 vues

Avec des dettes publiques africaines atteignant 60 à 65 % du PIB et une charge d’intérêts triplée depuis 2007, les États d’Afrique de l’Ouest doivent repenser leur modèle de financement. Entre fiscalité défaillante, épargne locale sous-exploitée et dépendance aux marchés extérieurs, la Côte d’Ivoire et ses voisins font face à un enjeu de souveraineté économique.


Le temps de l’argent facile est révolu. Pendant plus d’une décennie, les économies africaines ont massivement emprunté sur les marchés internationaux pour financer leurs infrastructures et leurs politiques publiques. Mais cette stratégie montre aujourd’hui ses limites : taux d’intérêt en hausse, dégradation des notations souveraines et coût de l’endettement devenu insoutenable pour plusieurs pays. Face à cette réalité, la mobilisation des ressources internes s’impose comme une nécessité stratégique.

Une dépendance coûteuse aux financements extérieurs

Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Les dettes publiques africaines avoisinent désormais 60 à 65 % du PIB, tandis que la charge d’intérêts sur ces dettes a été multipliée par trois depuis 2007. Cette spirale s’explique par le recours massif aux marchés financiers internationaux, aux appuis budgétaires multilatéraux et aux emprunts bilatéraux.

La Côte d’Ivoire, comme de nombreux pays de la sous-région, a largement utilisé ces canaux pour financer ses déficits budgétaires et ses programmes d’investissement. Mais les conditions se sont durcies : les agences de notation internationales réévaluent à la baisse plusieurs économies africaines, provoquant une hausse mécanique du coût de l’endettement. Résultat : les États se retrouvent pris au piège d’une dette croissante sans véritable autonomie financière à long terme.

Des recettes fiscales structurellement faibles

Le problème est d’autant plus aigu que les recettes fiscales demeurent nettement insuffisantes. En Afrique, elles représentent en moyenne 15 % du PIB, soit deux fois moins que les 30 % observés dans les pays de l’OCDE. En Côte d’Ivoire, malgré des efforts notables pour élargir l’assiette fiscale, le ratio recettes fiscales sur PIB stagne autour de 13 à 14 %.

Cette faiblesse structurelle limite drastiquement la capacité de l’État à financer ses politiques publiques sans recourir à l’endettement. Elle prive également les collectivités territoriales de ressources essentielles pour jouer pleinement leur rôle dans le développement local.

Les causes de cette sous-performance fiscale sont connues. Le secteur informel représente plus de 40 % de l’économie et échappe largement à l’impôt. L’évasion fiscale des grandes entreprises, facilitée par des montages complexes et des paradis fiscaux, prive les États de milliards de francs CFA chaque année. La digitalisation encore insuffisante de l’administration fiscale empêche une collecte efficace des impôts. Enfin, la faible culture contributive chez de nombreux citoyens freine l’adhésion au système fiscal.

Trois leviers pour inverser la tendance

Face à cette situation, les experts identifient trois leviers majeurs pour renforcer la mobilisation des ressources internes.

Le premier concerne le développement des notations souveraines en monnaie locale. Actuellement, les pays africains sont principalement notés en devise étrangère, ce qui amplifie les primes de risque et décourage les investisseurs locaux. Une notation en monnaie locale permettrait d’attirer des investisseurs domestiques, rassurés par une évaluation plus proche des réalités nationales, tout en réduisant le coût du financement.

Le deuxième levier porte sur la mobilisation de l’épargne nationale. L’Afrique dispose d’une épargne informelle considérable, mais celle-ci reste mal canalisée, souvent immobilisée dans l’immobilier ou la thésaurisation. Les fonds de dépôt et de consignation offrent une solution efficace pour transformer cette épargne dormante en ressource productive.

En Côte d’Ivoire, la Caisse des Dépôts et Consignations (CDC-CI), créée en 2018, joue un rôle croissant dans la collecte et la sécurisation de l’épargne institutionnelle provenant des notaires, greffes et régies publiques. Cette épargne est ensuite réorientée vers des investissements d’intérêt public. La montée en puissance de la CDC-CI pourrait significativement accroître les capacités d’investissement de l’État sans recourir à l’endettement extérieur.

Le troisième axe concerne la structuration de produits financiers adaptés au grand public. L’émission d’obligations de diaspora, de bons du Trésor accessibles via mobile money, ou encore la création de produits d’épargne réglementée pour les travailleurs du secteur informel peuvent transformer une masse financière dormante en levier de développement.

Les réformes indispensables de la fiscalité

Au-delà de ces mécanismes financiers, une refonte profonde du système fiscal s’impose. Plusieurs pistes de réforme se dégagent.

L’élargissement de l’assiette fiscale constitue la priorité. Il s’agit d’intégrer progressivement les acteurs du secteur informel à travers des régimes simplifiés et adaptés à leurs capacités contributives. La digitalisation des procédures fiscales doit accélérer, avec la mise en place de plateformes uniques pour la déclaration, le paiement et le suivi des impôts.

L’amélioration de la transparence et la lutte contre la corruption apparaissent essentielles pour restaurer la confiance des contribuables. Sans cette confiance, toute réforme fiscale restera lettre morte. L’éducation fiscale, via des campagnes de sensibilisation sur le rôle des impôts dans le développement national, doit accompagner ces transformations.

Enfin, le partenariat avec les collectivités locales permettrait de mieux percevoir certaines taxes et de rapprocher l’action fiscale du citoyen, renforçant ainsi l’acceptabilité sociale de l’impôt.

Un impératif de souveraineté

Renforcer la mobilisation des ressources internes n’est pas qu’une solution technique. C’est une condition de souveraineté financière qui offre plusieurs avantages stratégiques : réduction de la dépendance aux bailleurs internationaux, stabilité des financements à moyen et long terme, capacité accrue d’investir dans les infrastructures, la santé et l’éducation, et renforcement de la confiance des citoyens dans l’État.

À l’échelle macroéconomique, cette autonomie financière permet également de stabiliser la monnaie, d’alléger la pression sur les devises étrangères et d’améliorer le profil de risque du pays aux yeux des agences de notation.

La Côte d’Ivoire dispose des fondations nécessaires pour réussir cette transition : une institution comme la CDC-CI, une administration fiscale en cours de modernisation et un tissu économique dynamique. Mais le succès dépendra de la volonté politique, de la confiance citoyenne et de la capacité à concevoir une fiscalité plus équitable, plus transparente et mieux adaptée aux réalités locales. L’enjeu est de taille : il s’agit ni plus ni moins de garantir une souveraineté budgétaire durable et de réduire la vulnérabilité financière du pays.


En savoir plus sur businessechos.net

Subscribe to get the latest posts sent to your email.