La récente mesure protectionniste du Nigeria, interdisant l’importation d’oléoducs, offre un modèle de souveraineté industrielle dont la Côte d’Ivoire pourrait s’inspirer dans sa quête d’émergence économique.
Par la rédaction de BusinessEchos.net – 27 avril 2025
En matière de politique industrielle, les décisions fortes sont souvent celles qui marquent les tournants. Le Nigeria vient d’en faire la démonstration. Le 25 avril dernier, le gouvernement nigérian a franchi un pas décisif en interdisant purement et simplement l’importation d’oléoducs sur son territoire. Une mesure radicale qui s’inscrit dans une stratégie cohérente de développement industriel national et qui mérite d’être analysée à l’aune des ambitions ivoiriennes.
Une protection stratégique de l’industrie locale
Cette interdiction, annoncée par le ministre du Pétrole Heineken Lokpobiri, répond à une logique claire : protéger et stimuler l’industrie locale. Le ministre n’a pas mâché ses mots, dénonçant la transformation du Nigeria en “dépotoir” pour des équipements importés, notamment chinois, alors même que le pays possède désormais les capacités techniques pour produire localement ces infrastructures essentielles.
La décision s’appuie sur un constat : après des années d’investissements dans le secteur, des acteurs industriels comme Monarch Alloys ont développé des compétences suffisantes pour répondre aux besoins du marché intérieur. L’interdiction vise donc à créer un environnement favorable pour ces fabricants locaux, à générer des emplois qualifiés et à réduire significativement la fuite des devises.
Le succès d’une politique de long terme
Cette mesure protectionniste ne surgit pas ex nihilo. Elle s’inscrit dans le prolongement d’une politique industrielle ambitieuse initiée en 2010 avec le “Local Content Act”. Cette législation pionnière imposait déjà aux entreprises du secteur pétrolier et gazier d’utiliser un pourcentage croissant de biens et services produits localement.
Les résultats, quinze ans plus tard, sont éloquents. Le Nigeria a vu émerger de véritables champions nationaux comme Oilserv Limited ou Dorman Long Engineering, capables aujourd’hui de rivaliser avec les majors internationales sur certains segments techniques. La part de valeur ajoutée captée localement dans la chaîne pétrolière a considérablement augmenté, permettant une meilleure redistribution des richesses générées par ce secteur stratégique.
L’approche nigériane, combinant protection intelligente du marché intérieur et exigences progressives de contenu local, est devenue une référence sur le continent. L’Angola et le Ghana s’en sont déjà inspirés pour développer leurs propres législations. L’interdiction des importations d’oléoducs marque simplement une nouvelle étape, plus radicale, dans cette stratégie industrielle nationale cohérente.
Quelles leçons pour la Côte d’Ivoire ?
Alors que la Côte d’Ivoire vise l’émergence économique à l’horizon 2030, l’exemple nigérian offre matière à réflexion. Malgré une croissance soutenue et des progrès notables en matière d’infrastructures, l’économie ivoirienne reste largement dépendante de l’exportation de matières premières non transformées et de l’importation de produits manufacturés.
Adopter une politique de protection stratégique similaire à celle du Nigeria pourrait accélérer l’industrialisation du pays et renforcer sa souveraineté économique. Plusieurs secteurs semblent particulièrement propices à une telle approche :
L’agro-industrie, tout d’abord, qui constitue l’épine dorsale de l’économie ivoirienne. Premier producteur mondial de cacao, la Côte d’Ivoire transforme encore moins de 30% de sa production sur place. Une politique plus volontariste pourrait favoriser l’émergence de champions nationaux dans la transformation du cacao, de l’anacarde ou du coton.
Le secteur énergétique et minier offre également un potentiel considérable. À l’instar des oléoducs au Nigeria, certains équipements pourraient être progressivement produits localement, stimulant ainsi l’industrie mécanique et électrique ivoirienne.
Le numérique et les télécommunications représentent un autre domaine où une politique de préférence nationale pourrait porter ses fruits. En soutenant les startups locales face aux géants étrangers, la Côte d’Ivoire pourrait favoriser l’émergence de champions technologiques capables de rayonner sur toute la sous-région.
Le BTP et les matériaux de construction constituent également un levier important. Stimuler la production locale de ciment, d’acier et de briques industrielles réduirait significativement la facture des importations.
L’industrie pharmaceutique, enfin, représente un enjeu stratégique de souveraineté. La crise sanitaire mondiale a rappelé l’importance de disposer de capacités de production locales dans ce domaine critique.
Une volonté politique comme prérequis
L’expérience nigériane démontre qu’au-delà des mesures techniques, c’est avant tout la volonté politique qui constitue le moteur d’une transformation industrielle réussie. La cohérence et la continuité des politiques publiques, sur plus d’une décennie, ont permis l’émergence progressive d’un écosystème industriel compétitif dans le secteur pétrolier nigérian.
Pour la Côte d’Ivoire, l’enjeu est similaire : il s’agit d’articuler une vision claire du développement industriel à long terme avec des mesures concrètes et progressives de protection et de stimulation de l’industrie locale. L’objectif n’est pas seulement de créer des emplois et de diversifier l’économie, mais aussi de préparer le pays à mieux résister aux fluctuations des marchés internationaux.
Alors que le monde connaît une résurgence des politiques industrielles interventionnistes, y compris dans les économies occidentales traditionnellement libérales, la Côte d’Ivoire a aujourd’hui l’opportunité de s’inspirer des succès régionaux pour écrire sa propre histoire industrielle. Une ambition qui nécessitera courage politique et persévérance, mais dont les dividendes économiques et sociaux pourraient être considérables.
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