Le leadership sage, socle de l’entreprise du 21e siècle
Et vous, incarnez-vous les six dimensions du leadership sage ?
Au cours des trois dernières décennies, mon coauteur Prasad Kaipa et moi-même avons étudié et consulté près de 200 hauts dirigeants du monde entier qui ont dû faire face à des crises à grande échelle. Sur la base des réponses de ces cadres supérieurs à ces situations d’urgence, nous avons identifié, dans notre livre « Donner du sens à L’intelligence », trois façons dont les dirigeants ont tendance à penser et à agir pendant les crises.
Les leaders fonctionnels comptent uniquement sur leur instinct de survie. Concentrés sur l’essentiel, ils font tout ce qu’il faut pour maintenir leurs entreprises à flot. Les leaders astucieux sont ambitieux et très opportunistes. Ils trouvent des moyens ingénieux de tirer parti d’une crise et élaborent des stratégies pour saisir les opportunités post-catastrophe. Nous estimons que 90% des chefs d’entreprise que nous avons étudiés sont passés à l’un de ces deux modes, lors des crises passées.
Un plus petit nombre – seulement 10% – a traversé les crises en s’appuyant plutôt sur ce qu’on appelle « l’intelligence contextuelle », au profit de toutes les parties prenantes d’une société, et non pas uniquement des actionnaires. Plutôt que de simplement réagir à une urgence (ou d’en tirer profit), ces dirigeants ont consciemment utilisé l’intuition, la logique et leurs émotions pour choisir la réponse appropriée. Au lieu de demander aux salariés anxieux de continuer simplement à faire leur travail, ils les ont aidés à élargir leur perspective. Ils les ont incités à utiliser leur ingéniosité, leur empathie et leur résilience pour contribuer au plus grand bien de la société et à co-créer un objectif plus noble pour l’organisation.
J’appelle ces individus éclairés des « leaders sages ». Ils représentent le meilleur modèle pour tous les leaders qui sont confrontés actuellement à la triple crise sanitaire, économique et écologique. Dotés d’un esprit entrepreneurial, d’un cœur social et d’une âme écologique, ils sont les mieux placés pour bâtir les entreprises agiles, inclusives et durables du 21e siècle. Le leader sage se reconnaît car il présente six caractéristiques clés. Il est capable de :
1- Changer de perspective en s’alignant avec une noble cause
Les dirigeants sages ont une perspective holistique, ils voient le monde comme un réseau de vie interdépendant et interconnecté. Ils s’efforcent de surmonter les divisions, de résoudre les polarités et les paradoxes avec la pensée intégrative (« à la fois… et » par opposition à « soit… soit »). Ils sont profondément alignés avec leur « étoile polaire », qui confère à leur vie un sens profond et un objectif qui transcende leur ego. Les dirigeants sages s’efforcent de changer et d’élargir la perspective de leurs employés et des parties prenantes, en expliquant comment la survie à long terme de l’entreprise dépend de l’utilisation de toutes ses ressources pour résoudre de manière créative des problèmes mondiaux tels que les inégalités sociales, le changement climatique et les urgences sanitaires.
Sous la direction du P-DG Joe Kaeser, le géant industriel Siemens est en train d’évoluer d’une entreprise business-to-business (B2B) à une entreprise « business-to-society » (B2S). En tant qu’entreprise B2S, Siemens s’appuie sur tous ses actifs, talents et partenariats pour créer un impact social positif dans chacun des 200 pays dans lesquels elle opère. Selon la P-DG de Siemens aux Etats-Unis, Barbara Humpton, cette culture B2S a permis aux 50 000 collaborateurs américains de transformer leur peur et leur impuissance initiales en énergie positive pour co-créer des solutions pour lutter contre le Covid-19. Début avril, alors que le confinement s’imposait progressivement à travers les Etats-Unis, Barbara Humpton leur a dit : « Ne vous concentrez pas sur vous-même et sur votre anxiété. Canaliser vos émotions pour résoudre les besoins locaux dans vos villes. Etudions notre portefeuille d’actifs et de compétences et utilisons-les pour aider les autres. » Répondant à cet appel, des dizaines d’ingénieurs de diverses villes américaines ont utilisé l’imprimante 3D de Siemens qu’ils avaient chez eux pour fabriquer des centaines de masques faciaux, qu’ils ont distribués aux hôpitaux locaux. Et l’entreprise s’est associée à Medtronic, un leader mondial en technologies médicales, pour créer le « jumeau numérique » d’un respirateur et l’a rendu disponible en open source sur Internet afin que n’importe qui dans le monde puisse l’utiliser pour fabriquer ses propres respirateurs, et aider ainsi les patients du Covid-19.
Selon la P-DG, cette crise renforcera l’engagement sociétal de Siemens en tant qu’entreprise « business-to-society » : « Nous allons favoriser une véritable ownership culture (culture de propriété, NDLR) qui encourage l’esprit entrepreneurial, les initiatives ascendantes, la responsabilisation et l’engagement individuel de tous nos employés – le tout au service de la société. »
2- Agir de façon authentique et appropriée
Les dirigeants sages s’efforcent d’aligner leurs actions avec leur étoile polaire, qui leur sert de noble cause. Ils agissent de manière authentique, leurs paroles et leur comportement coïncident avec leurs sentiments et leurs valeurs. Ils agissent aussi de manière appropriée, en adaptant leurs actions au contexte dynamique de leur entreprise et de la communauté au sens large.
Le fabricant de vêtements Patagonia, connu pour son fort engagement social et écologique, a été la première entreprise à fermer ses portes lorsque le Covid-19 a commencé à toucher les Etats-Unis. Mi-mai, alors que tous les autres dirigeants américains étaient désireux de rouvrir leur entreprise, la P-DG, Rose Marcario, a déclaré que son entreprise pourrait être la dernière à rouvrir complètement, indiquant que la sécurité de ses employés était sa priorité n°1, même si cela coûtait cher à l’entreprise.
Tout comme elle, Eileen Fisher, designer et P-DG de la société de vêtements éponyme, essaie de trouver un équilibre entre authenticité et pertinence. Reconnaissant que la « fast fashion » (mode rapide) tue la planète – le secteur de l’habillement est le deuxième plus grand pollueur au monde après le pétrole, Eileen Fisher est une pionnière de la « slow fashion » (mode lente) en introduisant des modèles moins nombreux mais plus durables. En 1997, elle a mis en place un département de la conscience sociale (une première mondiale) qui sensibilise et soutient les femmes à travers des initiatives sociales qui améliorent leur bien-être. Elle a créé de meilleures conditions de travail pour ses sous-traitants dans les pays en développement, en les rémunérant au-dessus de la moyenne du secteur. Dans le but de devenir l’entreprise de vêtements la plus durable au monde, Eileen Fisher a investi dans les matières premières bio, a éliminé les colorants chimiques, et a réduit considérablement l’utilisation de l’eau dans la production. Elle incite ses clients à rapporter leurs vieux vêtements qui sont ensuite « surcyclés » en de beaux nouveaux produits grâce au talent de jeunes créateurs.
3- Intégrer les émotions, la logique et l’intuition dans la prise de décision
Les dirigeants sages décident à la fois avec clarté éthique et pragmatisme. Ils utilisent leur boussole intérieure pour identifier ce qui est bien ou mal dans une situation donnée, mais aussi dans un contexte plus large lié à une noble cause. Ils agissent avec prudence et ne laissent pas des émotions fortes, comme la peur ou la cupidité, façonner leurs décisions. Mais ils savent aussi écouter leur cœur, siège de la compassion et de l’intuition (il est important de distinguer l’intuition de l’instinct : l’instinct est façonné par les expériences passées tandis que l’intuition émerge en intégrant les expériences passées, doublées de perspectives futures, dans le contexte présent). Ils décident avec discernement, font preuve de bon jugement en période de crise et prennent une décision éthique et sensée en y mettant leur corps, leur cœur, leur esprit et leur âme.
Au lendemain de la fusillade du 15 mars 2019 dans deux mosquées de Christchurch, qui a fait 50 morts et des dizaines de blessés, la Première ministre de la Nouvelle-Zélande, Jacinda Ardern, est allée consoler les victimes et leurs familles en portant un hijab, ce qui a été interprété comme un signe de respect pour la communauté musulmane. Quelques semaines plus tard, le gouvernement a adopté une loi interdisant la plupart des armes semi-automatiques dans le pays. La compassion, la sensibilité culturelle et cette résolution lui ont valu des éloges partout en Nouvelle-Zélande et à l’étranger. « Le monde n’a pas besoin de beaucoup de politiciens à la peau très épaisse ; il a besoin de leaders politiques bienveillants qui se soucient du peuple », dit-elle.
A la mi-mars 2020, Jacinda Ardern a toutefois démontré que sa compassion pouvait rimer avec fermeté. Tenant compte des appels de l’Organisation Mondiale de la Santé, elle a annoncé un confinement total à l’échelle nationale, même si le pays ne comptait que 102 cas. Cette mesure proactive a rapidement aplati la courbe des contaminations et évité des morts massives, comme cela s’est produit en Italie, en France et aux Etats-Unis. Tout au long du confinement, elle a interagi avec ses citoyens via Facebook et Instagram, les rassurant et les encourageant à être patients et bienveillants les uns envers les autres. A la mi-mai, presque toutes les entreprises néo-zélandaises ont rouvert et début juin, Jacinda Ardero a annoncé que la Nouvelle-Zélande n’avait plus aucun cas actif de Covid-19. La façon dont elle a géré la crise sanitaire avec détermination, pragmatisme et empathie montre comment les dirigeants sages prennent des décisions, dans des contextes incertains, en utilisant à la fois leur esprit et leur cœur.
4- Diriger depuis n’importe quelle position
Les dirigeants sages ont une vision très claire de leur rôle, qu’ils assument humblement, quelle que soit la situation. Profondément conscients d’eux-mêmes, ils laissent transparaître leur « moi authentique », ce qui inspire les autres. Ils sont aussi, ce que l’experte en leadership Liz Wiseman, appelle des multiplicateurs : ils aiment mettre les autres sur le devant de la scène et les laisser briller. Mais en temps de crise, ils s’avancent courageusement pour prendre les devants et inciter les autres à les suivre.
Nandan Nilekani, le co-fondateur d’Infosys, le leader indien des services informatiques, est un dirigeant de ce type. Entre 1990 et 2000, il a été en première ligne alors qu’Infosys est passée d’une start-up inconnue à un géant des services informatiques, capable de rivaliser avec des leaders mondiaux comme IBM, Accenture et Capgemini. En 2009, il a quitté Infosys pour devenir président de la Unique Identification Authority of India (UIDAI), une organisation gouvernementale visant à fournir un numéro d’identification national unique à tous les résidents de l’Inde. Durant son mandat, Nandan Nilekani a, avec beaucoup de diplomatie, pris la tête d’une coalition de partenaires des secteurs public, privé et civil pour mettre en œuvre Aadhaar, désigné comme « le plus grand projet social de la planète ». Aadhaar est une carte d’identité biométrique offerte aux 1,25 milliard d’habitants en Inde. Aadhaar est utilisée par le gouvernement indien comme base de données pour offrir des services sociaux à tous ses citoyens de façon efficace.
En 2014, Nandan Nilekani a quitté UIDAI pour se concentrer exclusivement sur l’innovation sociale et soutenir les entrepreneurs sociaux « de l’arrière ». Lui et son épouse ont cofondé EkStep, une fondation qui vise à résoudre les problèmes d’apprentissage, en créant une plateforme technologique qui aide les enfants à améliorer leurs « résultats » assez tôt au cours de leur vie. En 2017, EkStep s’est associée à Co-Impact, une plateforme de philanthropie collaborative co-fondée par Bill et Melinda Gates et la Fondation Rockefeller. Co-Impact va investir 500 millions de dollars pour aider les entrepreneurs sociaux à augmenter massivement l’impact positif de leurs solutions, susceptibles d’« améliorer la vie de millions de personnes en faisant progresser l’éducation, le système de santé et en offrant des opportunités économiques » dans le monde entier.
Co-Impact s’appuie sur un système informatique ouvert et collaboratif dénommé « plateforme sociétale » (PS), un concept promu par Nandan Nilekani. Une PS s’apparente à un « Uber de l’innovation sociale ». C’est une plateforme numérique collaborative qui permet aux entrepreneurs sociaux d’éviter de réinventer la roue et de réutiliser des composants technologiques de type open source déjà existants. En assemblant rapidement ces composants comme des briques LEGO, ils peuvent développer et distribuer à grande échelle leurs innovations frugales à fort impact social.
5- Faire preuve de « détermination flexible »
Les dirigeants sages utilisent leur perspicacité – une combinaison de profonde conscience de soi, de compréhension approfondie du passé, de perception lucide du présent et de vision de l’avenir – pour décider quand s’en tenir à une décision avec courage et quand lâcher prise avec grâce. Ce discernement et cette « ténacité flexible » les maintiennent alignés avec leur étoile polaire, tout en leur permettant de faire évoluer le cap si besoin, et procurent des avantages à long terme pour eux-mêmes et leur organisation.
Face à la crise actuelle, les entreprises se sont montrées impatientes de « pivoter », c’est-à-dire de changer rapidement de modèle économique pour survivre et/ou saisir de nouvelles opportunités de marché. Mais ce type de « réinvention superficielle » ne sera pas durable, car le nouveau modèle économique improvisé, dans un contexte de peur, par l’entreprise ne correspond pas à ses véritables valeurs. Pire, alors que nous entrons dans une profonde récession, les entreprises risquent d’abandonner leurs programmes de RSE en les considérant comme un « gaspillage d’argent ».
Les leaders sages sont flexibles mais déterminés. Ils peuvent faire évoluer rapidement les pratiques commerciales de leur entreprise, pour répondre à un environnement en mutation, mais ils restent résolument attachés à la mission sociale et sociétale de l’entreprise. D’ailleurs, ils profitent des crises pour approfondir et solidifier leur engagement à « faire le bien » (pour la société et la planète), plutôt que de chercher à « bien faire » (ce qui vise surtout les actionnaires).
C’est le cas d’Emmanuel Faber, le P-DG de Danone. En janvier 2020, le Covid-19 avait déjà paralysé les opérations de Danone en Chine, le deuxième marché mondial du groupe. Emmanuel Faber savait que le pire était à venir. Il a mis en place un comité central de gestion de crise qui a tiré parti des leçons apprises en Chine et les a appliquées de manière proactive aux opérations mondiales de Danone, notamment en adaptant ses usines et en permettant le travail à distance.
Le P-DG a demandé à ses cadres supérieurs de faire preuve d’agilité d’esprit. Il leur a dit : « Nous allons opérer dans un contexte inédit et souvent dégradé. Oubliez le plan triennal. Il n’existe plus. Traversez simplement les dix prochains jours, puis le mois suivant, etc. »
Si Danone a rapidement et radicalement adapté ses chaînes d’approvisionnement et son environnement de travail, Emmanuel Faber s’est assuré qu’une chose reste intacte : l’engagement social de l’entreprise. Mi-mars, il a annoncé que Danone garantirait tous les contrats de travail, les salaires et la couverture santé de ses 100 000 employés jusqu’au 30 juin. Elle a également mis en place un fonds de 300 millions d’euros pour soutenir ses fournisseurs les plus vulnérables.
En 2018, l’unité nord-américaine de Danone était devenue la plus grande société au monde certifiée B Corp, ce qui signifie qu’elle est légalement engagée à conjuguer but lucratif et poursuite d’un impact positif sur la société et la planète. Danone vise à certifier l’ensemble de son organisation mondiale en tant que B Corp d’ici à 2025 (certaines marques connues, comme Blédina et Volvic, le sont déjà). Le 26 juin 2020, les actionnaires ont voté à l’unanimité pour faire de Danone la première entreprise cotée à devenir une « société à mission ». La notion de « société à mission », introduite par la loi Pacte en 2019, permet à une entreprise commerciale d’intégrer dans ses statuts des objectifs sociaux et environnementaux auxquels elle consacre des moyens et un suivi. A travers son ambition d’améliorer la santé du plus grand nombre via l’alimentation, Danone s’engage formellement à co-créer et à partager plus de valeur sur le long terme pour tous les acteurs de son écosystème. Par exemple, Danone aide ses agriculteurs à adopter des pratiques agricoles régénératrices qui enrichissent le sol, préservent la biodiversité, améliorent le bien-être animal et réduisent les émissions. Danone a aussi établi des contrats à long terme avec ses agriculteurs, leur assurant ainsi un revenu stable. « Nous avons fêté nos 100 ans l’an passé et il faut écrire la suite. Le risque, c’est de s’endormir, observait Emmanuel Faber. Il faut réinventer un modèle d’entreprise vivante, une économie qui sert l’humain, une agriculture qui renouvelle les ressources de la planète. »
6- Etre motivé par « l’intérêt personnel éclairé »
Les leaders sages sont animés par leur noble cause : ils vont au-delà de la maximisation de leur intérêt personnel et s’efforcent de servir les autres. Intrinsèquement motivés, ils se lancent dans un projet et y restent car il sert un objectif noble. Evitant la concurrence et le court-termisme, ils engagent patiemment toutes les parties prenantes, à l’intérieur et à l’extérieur de leur organisation, pour co-créer de la valeur, qui soit durable et bénéfique pour tous les acteurs.
Les leaders sages ne sont pas désintéressés : ils sont plutôt motivés par ce que j’appelle « l’intérêt personnel éclairé ». Au lieu de penser : « Qu’est-ce que cela m’apporte ? », ils se disent : « Qu’est-ce que cela nous apporte à tous ? », avec la conviction qu’une marée montante soulèvera tous les bateaux, même ceux des concurrents. Ils contribuent ainsi à la société dans son ensemble tout en sachant qu’en faisant cela, ils récolteront des récompenses pour eux-mêmes et pour leur organisation.
Dès le début du confinement mi-mars, Pascal Demurger, le DG de la MAIF, a posé deux principes éthiques sur lesquels son organisation s’appuierait pour fonctionner jusqu’à la fin de la crise sanitaire. D’abord, l’entreprise ferait tout pour assurer la sécurité de ses collaborateurs. Cela signifie non seulement protéger la santé physique des personnes mais aussi les soutenir financièrement. Même si ses 8000 collaborateurs ont été mis en chômage partiel, la MAIF a maintenu les salaires à 100% pour tous, y compris pour ceux qui ne pouvaient pas travailler à distance. La MAIF a refusé de bénéficier des 20 millions d’euros offerts dans le cadre du dispositif d’Etat d’accompagnement au chômage partiel. « Ces fonds doivent être destinés aux entreprises qui ne franchiraient pas le cap ou qui devraient licencier sans une telle aide », considère Pascal Demurger.
Durant le confinement, les accidents de voitures ont reculé de 80%. Alors que d’autres assureurs se seraient réjouis des économies réalisées, le 2 avril 2020, la MAIF annonça qu’elle allait reverser ses 100 millions d’économie à ses 2,8 millions de sociétaires (assurés MAIF). Ce n’est pas une somme négligeable. Elle représente près d’une année de résultats nets de l’entreprise. « Nous avons décidé, en rendant cet argent, d’avoir un geste de solidarité et de prendre part à l’effort collectif. Il était inconcevable pour nous de tirer un quelconque bénéfice de la crise ». Une telle initiative a contribué à fidéliser encore davantage les clients de la MAIF. L’entreprise a la particularité d’avoir un taux d’attrition de 4 à 5%, alors que pour d’autres assureurs ce taux peut aller jusqu’à 20%. Cela signifie, sans doute, que les concurrents de la MAIF dépensent, chaque année, des centaines de millions d’euros pour acquérir de nouveaux clients – un coût significatif que la MAIF s’épargne, en établissant des liens de confiance avec ses clients sur le long terme.
Dès juin 2019, l’entreprise avait, comme Danone, adopté le statut d’entreprise à mission, devenant ainsi la première entreprise française dotée de ce statut. Elle s’est même dotée d’une « raison d’être » formulée ainsi : « Convaincus que seule une attention sincère portée à l’autre et au monde permet de garantir un réel mieux commun, nous la plaçons au cœur de chacun de nos engagements et de chacune de nos actions. C’est notre raison d’être. » En œuvrant en faveur de l’intérêt général au cours de cette crise, la MAIF a voulu se distinguer des autres assureurs, faire preuve d’exemplarité et inciter d’autres entreprises à co-construire une économie humaniste et socialement responsable (Pascal Demurger est un admirateur de Gandhi et de son adage « Soyez le changement »).
Avec l’aggravation de la crise liée au Covid-19 et les difficultés économiques qui en découlent, la majorité des dirigeants vont soit adopter la position fœtale (comme le font les leaders fonctionnels) soit chercher égoïstement à dénicher de nouvelles opportunités (comme le font les dirigeants astucieux). Mais quelques dirigeants éclairés exploiteront les compétences du leadership sage pour inciter leurs collaborateurs à se dépasser et à faire preuve d’ingéniosité, à mobiliser leur empathie et leur résilience pour servir le bien commun. En agissant ainsi, ces leaders sages feront bouger la culture et le modèle économique de leur entreprise.
Voici donc les six compétences clés qui rendent un leader sage : il/elle est capable de changer de perspective pour être en adéquation avec une noble cause, il/elle agit de manière authentique et appropriée, il/elle décide avec discernement et intuition en engageant tout son être (esprit, corps, cœur, âme), il/elle est prêt(e) à assumer et à incarner n’importe quel rôle qu’il/elle s’est choisi avec conviction et enthousiasme sans y perdre son identité, il/elle fait preuve d’une détermination flexible, enfin il/elle est motivé(e) par un intérêt personnel éclairé.
Après 30 ans de recherche, Prasad Kaipa et moi-même n’avons pas trouvé un seul leader qui incarnait les six dimensions du leadership sage. Les dirigeants perspicaces et progressistes mentionnés plus haut maîtrisent – et mettent en pratique – deux ou trois des compétences les plus sages, mais pas toutes. C’est pourquoi, chacun de nous doit continuer à approfondir sa conscience de soi, et être plus avisé lorsqu’il s’agit de prendre des décisions ou d’interagir avec les autres. Vous-même, vous pouvez évaluer votre niveau de sagesse, ainsi que vos forces et vos faiblesses en tant que leader : sixcapabilities.com
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