Le digital shilling ougandais : quand la monnaie numérique rencontre l’économie réelle

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Avec le lancement le 12 octobre 2025 d’un projet pilote de monnaie numérique adossée à 5,5 milliards USD d’actifs productifs, l’Ouganda franchit un cap dans l’expérimentation des CBDC africaines. Cette approche hybride, qui marie blockchain et économie tangible, pourrait redessiner les contours de l’innovation monétaire continentale.

L’Afrique multiplie les expériences de monnaie numérique de banque centrale depuis quelques années. Le Nigeria a lancé le eNaira en 2021, le Ghana et l’Afrique du Sud mènent leurs propres tests. Mais l’initiative ougandaise se démarque radicalement : plutôt que de créer une simple réplique digitale du shilling, Kampala construit un écosystème où monnaie numérique et actifs physiques s’entrelacent.

Une architecture financière inédite

Déployé sur la plateforme Global Settlement Network (GSN) en collaboration avec le groupe Diacente, le digital shilling repose sur une blockchain permissionnée où chaque unité monétaire est garantie par des obligations du Trésor ougandais. Cette garantie étatique directe distingue le projet des cryptomonnaies privées et offre une crédibilité institutionnelle au dispositif.

L’ambition va plus loin avec la tokenisation de 5,5 milliards USD d’infrastructures stratégiques : zones agro-industrielles, projets miniers et installations énergétiques solaires. En numérisant ces actifs sur la blockchain, l’Ouganda cherche à créer une passerelle directe entre les flux de valeur générés par ces secteurs productifs et sa monnaie digitale.

Le pilote démarre dans la Karamoja Green Industrial and Special Economic Zone (GISEZ), un périmètre contrôlé permettant de tester le système avec des entreprises, exploitants agricoles et opérateurs locaux identifiés. L’accès se fera via smartphones ou technologie USSD, une décision stratégique pour toucher les populations rurales dépourvues d’équipements sophistiqués, tout en maintenant les standards KYC et anti-blanchiment.

Un triple objectif économique

Cette architecture poursuit plusieurs objectifs. L’inclusion financière d’abord : en facilitant l’accès aux services monétaires numériques, le système pourrait intégrer des millions d’Ougandais exclus du système bancaire traditionnel. Les transactions deviendraient instantanées et les coûts de transfert chuteraient drastiquement.

L’attractivité des investissements ensuite : en tokenisant des actifs productifs, l’Ouganda ouvre une nouvelle classe d’investissement. Les investisseurs locaux ou internationaux pourraient acquérir des tokens générant des revenus réels issus de l’agriculture, des mines ou de l’énergie, sans passer par les circuits bancaires classiques.

L’efficacité macroéconomique enfin : en liant sa CBDC aux obligations d’État, le gouvernement dispose d’un instrument numérique pour piloter la liquidité et renforcer la transparence des finances publiques. Le projet s’inscrit d’ailleurs dans la Vision 2040 nationale et l’Agenda 2063 de l’Union africaine.

Des obstacles de taille

Les défis restent considérables. La cybersécurité constitue le talon d’Achille de toute infrastructure monétaire numérique. L’adoption populaire n’est pas garantie non plus : le eNaira nigérian peine à convaincre malgré un lancement officiel il y a quatre ans.

La volatilité des actifs tokenisés représente un risque systémique. Les aléas climatiques, les fluctuations des cours des matières premières ou les tensions géopolitiques peuvent fragiliser les valorisations et, par effet domino, ébranler la confiance dans l’ensemble du dispositif.

Le cadre réglementaire devra également trouver un équilibre délicat entre traçabilité des transactions et protection de la vie privée. La nature permissionnée de la blockchain concentre le pouvoir entre les mains de l’autorité centrale, soulevant des interrogations sur les risques d’abus.

Un laboratoire continental

Pour la zone UEMOA, où aucune CBDC formelle n’a encore émergé, l’expérience ougandaise offre un cas d’école. Si Kampala réussit son pari, cette approche hybride pourrait inspirer d’autres pays africains cherchant à moderniser leurs systèmes de paiement tout en valorisant leurs actifs productifs. L’enjeu dépasse la simple innovation technologique : il s’agit de repenser le rôle de la monnaie dans le développement économique.


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