L’art de persuader n’a pas changé depuis 2000 ans

L’art de persuader n’a pas changé depuis 2000 ans

Les idées sont la monnaie du 21e siècle. L’art de convaincre, de faire évoluer les cœurs et les esprits, est sans doute la compétence qui, entre toutes, vous donnera un avantage concurrentiel dans l’économie de la connaissance, à une époque où les idées comptent plus que jamais.

Selon certains économistes, l’art de la persuasion contribue pour un quart ou plus du revenu national des Etats-Unis. A mesure que l’économie américaine passait de l’agriculture à l’industrie, puis à la connaissance, la réussite a bénéficié à ceux qui, dans presque tous les métiers, étaient capables de convaincre les autres d’appliquer leurs idées. Voyez par vous-même la place que tient la persuasion dans la vie quotidienne :

– Les entrepreneurs persuadent les investisseurs de financer leur start-up ;

– Les candidats persuadent les recruteurs de les embaucher ;

– Les politiques persuadent les électeurs de voter pour eux ;

– Les dirigeants persuadent leurs salariés de mettre en œuvre tel ou tel plan d’action ;

– Les P-DG persuadent les analystes de recommander leur entreprise ;

– Les commerciaux persuadent les clients de choisir leur produit, plutôt que celui de la concurrence.

En résumé, la persuasion ne relève plus des soft skills, du savoir-être : c’est une compétence fondamentale qui vous permettra d’attirer des investisseurs, de vendre davantage de produits, de développer des marques, d’inspirer des équipes et de faire bouger les lignes. Elle est si importante pour le milliardaire américain Warren Buffet, que le seul diplôme qu’il est fier d’afficher dans son bureau est un certificat de formation à la prise de parole en public, décerné par Dale Carnegie. Il a déclaré un jour à des étudiants en école de commerce que le simple fait d’améliorer leurs compétences en communication doperait instantanément leur valeur professionnelle de 50 %.

Les mots et les idées ont façonné le monde moderne et ils ont le pouvoir de faire de vous une star dans votre domaine, à condition de savoir convaincre les autres de les mettre en œuvre. Suivre les préceptes d’un philosophe de la Grèce antique vous y aidera.

Il y a plus de 2000 ans, dans son livre « Rhétorique »Aristote a élaboré une formule pour maîtriser l’art de la persuasion. Au cours des siècles passés, de nombreux grands communicants l’ont utilisée pour prononcer des discours ou faire des présentations qui ont eu une influence immense, et partager ainsi leurs idées avec le monde entier.

Pour devenir, vous aussi, un maître en persuasion et réussir à vendre vos idées, efforcez-vous d’appliquer lors de vos prochains discours et présentations ces cinq procédés rhétoriques édictés par Aristote.

1- L’ethos ou « le personnage »

L’ethos est la partie du discours, ou de la présentation, qui vous rendra crédible aux yeux de votre auditoire. Aristote pensait que si les actes de l’orateur contredisaient ses paroles, sa crédibilité était atteinte et son argumentaire affaibli.

Par exemple, l’avocat de Human Rights Bryan Stevenson démarre un TED Talk sur la réforme du système pénal, depuis devenu célèbre, par ces mots : « J’ai passé l’essentiel de ma carrière dans les prisons, les maisons d’arrêt, les couloirs de la mort. J’ai passé l’essentiel de mon temps dans des quartiers très pauvres et des lieux où règne le désespoir. » Vous remarquerez qu’il n’énumère ni ses diplômes, ni ses réussites passées, ni les prix qu’il s’est vu décerner, comme il le ferait dans un curriculum vitae. Il campe d’abord son personnage, à destination des personnes dans le public qui ne le connaîtraient pas encore. En procédant ainsi, il crée un lien de confiance avec son auditoire.

En tant qu’êtres humains, nous sommes programmés pour chercher des raisons de faire confiance à autrui et nous savons le faire rapidement. Après tout, nos ancêtres n’avaient que quelques secondes pour décider si un étranger était ami ou ennemi. Un simple rappel que vous êtes au service du bien-être des autres établira votre crédibilité, avant que vous ne vous lanciez dans votre argumentaire.

2- Le logos ou « la raison »

Une fois votre personnage campé vient le moment d’en appeler logiquement à la raison de vos auditeurs. Pourquoi devraient-ils s’intéresser à votre idée ? Si elle est censée leur faire économiser de l’argent, ils voudront savoir combien et comment. Le même raisonnement s’applique pour en gagner. Comment votre idée les aidera-t-elle à faire des bénéfices ? Quelle décision doivent-ils prendre ? Ces éléments logiques vous aideront à les rallier à votre cause. Etayez votre argumentaire par des faits, des données et des preuves.

3- Le pathos ou « l’émotion »

Selon Aristote, il ne peut y avoir persuasion sans émotion. Les gens sont incités à l’action par l’émotion que l’orateur suscite chez eux. Pour le philosophe, la meilleure façon de transmettre de l’émotion, d’une personne à une autre, était d’utiliser le procédé rhétorique de la narration. Plus de 2000 ans plus tard, cette intuition a été confirmée par les neurosciences. Les recherches ont montré que les récits favorisent l’afflux de substances chimiques dans le cerveau, et notamment d’ocytocine, une molécule qui relie les individus à un degré émotionnel plus profond.

Dans mon analyse des 500 TED Talks les plus populaires, j’ai mis en évidence que le récit comptait en moyenne pour 65 % du discours, le logos pour 25 % et l’ethos pour 10 %. Autrement dit, la formule gagnante d’un TED Talk est d’emballer une idée géniale dans une histoire.

Mais quel genre d’histoire ? « Les histoires qui créent les liens les plus efficaces sont celles qui parlent de vous ou de vos proches , explique celui qui programme les TED Talks, Chris Anderson. Racontés sincèrement, les récits d’échec, de maladresse, de malheur, de danger ou de catastrophe provoquent rapidement une empathie plus profonde. » Plus le contenu est personnel, plus il accroche.

4- La métaphore

Selon Aristote, les métaphores conféraient au langage sa beauté. « Maîtriser les métaphores est de loin le plus important », écrit-il. Quand, à l’aide d’une métaphore ou d’une analogie, vous comparez votre nouvelle idée à quelque chose de familier pour votre auditoire, vous rendez concret quelque chose d’abstrait et votre idée devient plus claire.

Revenons à Warren Buffet, l’un des plus habiles praticiens en matière de persuasion. Rares sont les interviews où il n’utilise pas de métaphores pour s’expliquer. Par exemple, si vous entendez des investisseurs dirent qu’ils sont à la recherche d’entreprises « entourées de douves », c’est en référence à une métaphore popularisée par Buffet. Le milliardaire a, en effet, répété qu’il recherchait des entreprises « forteresses économiques », entourées de douves qui les protègent des nouveaux entrants dans le secteur.

En 2017, dans son discours à l’assemblée générale des actionnaires de Berkshire Hathaway, il a déclaré que la croissance des dépenses de santé était le ver solitaire de l’économie américaine. Par cette métaphore intestinale, il décrivait précisément un problème sérieux qui sape les fondations du système économique américain. Il n’a pas eu besoin d’expliquer ce qu’il se passe quand le ver solitaire grossit. Plusieurs journaux, ainsi que les blogs qui ont rendu compte de l’événement, ont titré sur ce « ver solitaire ».

Ceux qui maîtrisent les métaphores savent transformer les mots en image qui aident leurs auditeurs à mieux comprendre leurs idées, mais surtout à les mémoriser et à les diffuser. C’est un outil puissant à avoir.

5- La concision

Là encore, Aristote était en avance sur son temps. « Il avait découvert qu’il y a des limites universelles au nombre d’informations qu’un être humain peut absorber et retenir, écrit Edith Hall, professeur au King’s College, dans « Aristotle’s Way ». Quand il s’agit de persuader, il vaut mieux souvent en faire moins. »

La concision est un élément essentiel du discours persuasif. Un argument, disait Aristote, doit être exprimé « de manière aussi dense et avec aussi peu de mots que possible ». Il avait également observé que le plus important était de soigner l’attaque du discours, car « l’attention se relâche ensuite partout ailleurs ». La leçon, ici ? Commencez par votre point le plus fort.

La bonne nouvelle pour les communicants est qu’Aristote croyait que la persuasion pouvait être enseignée. Selon Edith Hall, la classe politique de la Grèce antique a vu en lui « une menace » dès qu’il a mis les outils de la rhétorique à la disposition du plus grand nombre. Les élites voulaient garder la formule secrète. Mais Aristote souhaitait que tout le monde y ait accès. Il a promu l’idée que la capacité d’un individu à bien parler, à bien écrire et à utiliser les procédés rhétoriques pour changer le point de vue d’autrui pouvait libérer le potentiel de l’humanité et renforcer son bonheur. Si, depuis deux millénaires, les outils dont nous nous servons pour communiquer des idées ont changé, notre cerveau lui n’a pas évolué. La formule qui fonctionnait à l’époque fonctionne aujourd’hui encore.

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