Depuis plus de soixante ans, la Société Financière Internationale (SFI), branche du Groupe de la Banque mondiale dédiée au secteur privé, s’impose comme un levier discret mais essentiel dans le développement économique du continent africain. Avec plus de 14,2 milliards de dollars engagés sur le continent en 2024, la SFI s’est affirmée comme un partenaire de référence pour de nombreux entrepreneurs africains qui, grâce à ses interventions, ont pu structurer, développer et étendre leur activité bien au-delà de leurs marchés nationaux.
En Afrique de l’Ouest, son rôle est particulièrement visible dans l’essor de plusieurs figures emblématiques de l’entrepreneuriat régional, à l’image de Mossadeck Bally (Azalaï Hotels), Bernard Koné Dossongui (Groupe Atlantic) ou Jean-Marie Ackah (SIPRA), autant de leaders économiques qui ont pu s’appuyer sur le soutien technique et financier de la SFI pour franchir un cap stratégique. Ce dossier propose une plongée dans les rouages de cette collaboration peu connue mais fondatrice.
Une ingénierie financière au service du secteur privé africain
La SFI mobilise un éventail d’instruments financiers sophistiqués pour répondre aux besoins des entreprises africaines : prêts à long terme, prises de participation, garanties, financements indirects via des fonds partenaires, et assistance technique. Cette approche intégrée lui permet d’intervenir aussi bien auprès des grandes entreprises que des PME en croissance.
En Côte d’Ivoire, le Groupe SIPRA (Société Ivoirienne de Productions Animales), dirigé par Jean-Marie Ackah, a ainsi bénéficié dès 2012 d’un investissement en fonds propres de la SFI à hauteur de 2,4 millions d’euros (soit 7,5 % du capital). L’objectif : permettre à SIPRA de moderniser ses installations, accroître sa capacité de production avicole, et étendre son impact social à travers l’intégration de milliers de petits producteurs de maïs et d’éleveurs dans ses chaînes d’approvisionnement. Outre le financement, la SFI a fourni à SIPRA un accompagnement en matière de gouvernance, de conformité environnementale et de structuration financière.
Dans un autre registre, la SFI a également soutenu, sur près de trois décennies, le développement du groupe hôtelier Azalaï, fondé par l’homme d’affaires malien Mossadeck Bally. Ce dernier, parti d’un hôtel familial à Bamako, a progressivement bâti un réseau hôtelier panafricain. La SFI a accompagné cette ambition à travers cinq interventions successives mêlant financement (notamment un prêt de 10 millions d’euros en 2024 pour soutenir la relance post-Covid) et conseil. L’institution a notamment aidé le groupe à adopter des standards internationaux de gestion, à professionnaliser ses équipes et à optimiser sa gouvernance.
Le cas de Bernard Koné Dossongui, fondateur du Groupe Atlantic, illustre quant à lui la capacité de la SFI à catalyser des stratégies d’expansion régionale dans le secteur bancaire. En 2018, la SFI a structuré avec Atlantic Business International (ABI) un mécanisme de partage de risques de 40 millions d’euros destiné à stimuler le financement des PME dans huit pays de l’UEMOA. L’appui de la SFI a permis de couvrir 50 % du risque de crédit sur un portefeuille cible de 80 millions d’euros, incitant les filiales du groupe à prêter plus activement aux petites entreprises locales, souvent perçues comme risquées par les banques classiques.
Une portée panafricaine qui touche tous les secteurs stratégiques
L’intervention de la SFI ne se limite pas à l’Afrique de l’Ouest. Au Nigeria, la première puissance économique du continent, la SFI a joué un rôle de premier plan dans l’émergence de deux mastodontes industriels : Dangote Cement et BUA Group. Dans les années 2000, elle a cofinancé la cimenterie d’Obajana, projet phare du groupe Dangote, avec un prêt de 75 millions de dollars. En 2023, elle engageait un financement de 500 millions de dollars pour accompagner BUA dans l’extension de son usine de Sokoto, au nord du pays. Ces projets ont non seulement réduit la dépendance du Nigeria aux importations de ciment, mais aussi renforcé ses capacités d’exportation vers les pays voisins, générant au passage des milliers d’emplois directs et indirects.
Dans les télécommunications, la SFI a investi dans les infrastructures partagées (tours télécoms) en soutenant des entreprises comme Helios Towers et IHS Towers, qui ont étendu la couverture mobile dans des zones rurales où les opérateurs classiques ne souhaitaient pas investir seuls. Ces investissements ont eu des retombées directes sur l’accès au numérique, le développement du mobile money et l’écosystème des start-ups africaines.
Autre domaine stratégique, l’agro-industrie bénéficie d’une attention soutenue de la SFI, qui y voit un levier de transformation économique et sociale. Elle a ainsi soutenu la transformation de la noix de cajou au Bénin, les huileries au Sénégal, ou encore les projets rizicoles au Nigeria. L’objectif est clair : relocaliser la valeur ajoutée, favoriser l’autosuffisance alimentaire, et créer des opportunités économiques dans les zones rurales.
Des partenariats longs, structurants et résilients
La particularité de la SFI tient à la durée et à la profondeur de ses relations avec ses partenaires. Elle ne se contente pas d’apporter des capitaux : elle accompagne ses bénéficiaires sur plusieurs années, voire plusieurs décennies, leur fournissant expertise, crédibilité et ouverture au réseau des institutions internationales. L’exemple du groupe Azalaï est emblématique : en trente ans, Mossadeck Bally a fait évoluer son entreprise du statut d’hôtel familial à celui de groupe régional reconnu, notamment grâce à l’appui stratégique de la SFI à chaque phase d’expansion.
Cette relation étroite permet aussi de faire face ensemble aux crises. Durant la pandémie de Covid-19, la SFI a déployé un programme de soutien massif pour aider ses partenaires à traverser la tempête. À Azalaï, ce fut un refinancement ; pour d’autres, un moratoire ou une assistance technique pour adapter les modèles économiques. Ce rôle contra-cyclique est l’un des grands atouts de l’institution, en particulier dans un continent où les mécanismes classiques de soutien en période de crise restent limités.
Un impact mesurable sur l'économie réelle
Selon les chiffres officiels, les entreprises soutenues par la SFI ont généré 438 000 emplois directs en Afrique en 2023. En y ajoutant les effets indirects – prestataires, sous-traitants, agriculteurs intégrés dans les chaînes d’approvisionnement – le chiffre grimpe de manière exponentielle. SIPRA en Côte d’Ivoire, par exemple, a intégré plus de 20 000 producteurs de maïs locaux et 2 000 petits éleveurs dans ses opérations.
Au-delà de l’emploi, l’impact s’observe dans l’amélioration des pratiques de gouvernance, l’élévation des standards sociaux et environnementaux, la structuration de filières industrielles, et la montée en gamme des entreprises locales. La SFI joue aussi un rôle de pionnier dans la finance inclusive et responsable : elle a soutenu l’émission du premier « gender bond » ouest-africain à hauteur de 10 milliards FCFA avec Ecobank Côte d’Ivoire, destiné à financer les entreprises dirigées par des femmes.
Une institution perfectible mais irremplaçable
Malgré son importance, la SFI est parfois critiquée pour sa lenteur administrative, son appétence pour les grands groupes au détriment des très petites entreprises, ou encore pour sa rigueur perçue comme excessive dans les exigences ESG (Environnement, Social et Gouvernance). Elle en est consciente, et a multiplié ces dernières années les initiatives pour corriger ces biais : financement indirect via des fonds partenaires (DPI : Development Partners International, AfricInvest : société panafricaine de capital-investissement, Partech Africa : fonds de capital-risque spécialisé dans la tech africaine), création d’un guichet IDA-PSW (International Development Association – Private Sector Window, ou guichet de l’IDA pour le secteur privé) pour les pays fragiles, ou encore digitalisation de ses processus.
Reste que, dans l’écosystème africain du financement, peu d’institutions peuvent se prévaloir d’une telle capacité à combiner finance, accompagnement, expertise sectorielle et effet de levier sur d’autres investisseurs. Là où la SFI intervient, elle attire souvent d’autres partenaires, joue le rôle d’investisseur d’ancrage, et améliore la qualité des projets financés.
La SFI, catalyseur de l’émergence africaine
Le succès de nombreux entrepreneurs africains ne peut être dissocié du rôle discret mais fondamental de la SFI. À l’heure où l’Afrique cherche des modèles de croissance plus résilients, durables et inclusifs, la capacité de la SFI à structurer le secteur privé, à soutenir des leaders visionnaires et à diffuser des standards internationaux s’avère plus que jamais indispensable.
En Afrique de l’Ouest comme ailleurs sur le continent, la SFI incarne une nouvelle génération de partenariats : moins visibles, plus exigeants, mais porteurs de transformations profondes. Pour les entrepreneurs africains qui rêvent grand, elle reste l’un des partenaires les plus sûrs pour faire passer leurs ambitions à l’échelle continentale.
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