Dans un contexte d’urbanisation croissante et de préoccupations sécuritaires grandissantes, le secteur de la sécurité privée en Côte d’Ivoire connaît une expansion remarquable. Ce développement, bien qu’économiquement prometteur, soulève des inquiétudes majeures concernant les conditions de travail des agents qui en sont le pilier.
Un marché dynamique mais insuffisamment régulé
Le paysage de la sécurité privée ivoirienne présente un portrait contrasté. En 2021, plus de 400 entreprises opéraient dans ce secteur, mais les chiffres officiels de 2024 indiquent que seulement 101 sociétés de sécurité privée et de transport de fonds sont effectivement agréées par les autorités. Cet écart considérable entre le nombre total d’opérateurs et ceux légalement autorisés soulève d’importantes questions sur la régulation du secteur.
Le marché emploie une main-d’œuvre substantielle. Les dernières données disponibles estiment qu’environ 60 000 à 70 000 personnes travaillent comme agents de sécurité à travers le pays. En 2017, cette industrie générait un chiffre d’affaires annuel estimé à 90 milliards de FCFA (environ 137 millions d’euros), témoignant de son poids économique significatif dans l’économie nationale.
Parmi les acteurs majeurs, G4S Côte d’Ivoire se distingue comme le leader du marché. Présente depuis 1982, l’entreprise multinationale emploie plus de 6 000 personnes et propose une gamme complète de services allant du gardiennage traditionnel à la gestion des risques et aux systèmes de sécurité électroniques. Des entreprises locales comme SMO SECURITE, avec ses 2 500 agents répartis dans 6 agences et plus de 15 représentations, ainsi que SECURICOM, spécialiste de la sécurité électronique depuis plus de 20 ans, complètent ce paysage concurrentiel.
La face cachée d’un secteur florissant
Derrière ces chiffres impressionnants se cache une réalité préoccupante pour les travailleurs du secteur. Une enquête réalisée en 2023 auprès de 130 agents à Abidjan révèle des conditions de travail alarmantes. Seuls 40% des agents interrogés déclarent bénéficier effectivement et régulièrement du repos hebdomadaire légalement dû, tandis qu’à peine un quart (24,62%) affirment pouvoir prendre leur congé annuel.
Ces statistiques troublantes soulignent un problème généralisé de non-respect des droits fondamentaux des travailleurs. Bien que les données spécifiques sur les niveaux de salaire ne soient pas explicitement mentionnées dans les sources disponibles, les préoccupations concernant le non-respect du SMIG (Salaire Minimum Interprofessionnel Garanti) et les bas salaires sont récurrentes dans les discussions sur le secteur.
La structure du marché, caractérisée par la présence d’entreprises multinationales aux côtés de nombreux acteurs locaux de taille variable, suggère également l’existence d’un système à deux vitesses. Les grandes entreprises comme G4S, disposant de ressources plus importantes et adhérant potentiellement à des normes internationales, pourraient offrir de meilleures conditions que les petites structures locales, creusant ainsi les inégalités au sein même du secteur.
Un cadre réglementaire existant mais insuffisant
Le secteur de la sécurité privée en Côte d’Ivoire n’évolue pas dans un vide juridique. Un décret datant de 2005 encadre les activités de sécurité privée et de transport de fonds, plaçant le secteur sous la tutelle du Ministère de l’Intérieur. La procédure d’obtention d’un agrément est clairement définie, impliquant la Direction de la Surveillance du Territoire (DST) et le Ministère de la Sécurité et de la Protection Civile (MSPC).
Cependant, l’existence de ce cadre réglementaire ne semble pas garantir son application effective. Les témoignages récurrents sur les réseaux sociaux, les grèves sporadiques dans certaines entreprises et les appels répétés à une meilleure régulation du secteur témoignent d’un malaise profond et de dysfonctionnements persistants.
L’absence apparente de sanctions dissuasives pour les entreprises ne respectant pas la législation constitue probablement l’une des failles majeures du système actuel. Sans conséquences significatives pour les contrevenants, le cadre réglementaire perd de son efficacité, et les pratiques abusives peuvent se perpétuer en toute impunité.
Des défis sociaux majeurs à relever
Les préoccupations concernant les conditions de travail précaires dans le secteur ne se limitent pas aux questions de rémunération et d’horaires. Elles s’étendent également à des problématiques plus larges comme l’accès à la protection sociale.
L’absence présumée de couverture sociale pour de nombreux agents de sécurité les place, ainsi que leurs familles, dans une situation de grande vulnérabilité face aux aléas de la vie, tels que la maladie, les accidents ou la vieillesse. Cette précarité est d’autant plus préoccupante qu’elle touche un secteur exposé à des risques professionnels non négligeables.
La question des types de contrats en vigueur dans le secteur constitue un autre sujet d’inquiétude. Bien que les données précises manquent, les préoccupations concernant la prévalence de contrats précaires suggèrent un recours important aux CDD, au travail temporaire ou à la sous-traitance, fragilisant davantage la position des travailleurs.
Enfin, le faible niveau présumé de syndicalisation dans le secteur pourrait contribuer à la persistance de ces problèmes. Sans représentation collective forte, les agents de sécurité manquent du pouvoir de négociation nécessaire pour défendre efficacement leurs droits et améliorer leurs conditions de travail.
Des perspectives d’amélioration à envisager
Face à ces défis, plusieurs pistes d’amélioration se dessinent. Le renforcement de l’application des lois et réglementations existantes apparaît comme une priorité absolue. Des inspections et des audits réguliers, couplés à des sanctions dissuasives pour les entreprises non conformes, pourraient contribuer à assainir le secteur.
La promotion et le soutien à la syndicalisation des agents de sécurité constitueraient également un levier important pour rééquilibrer les relations de pouvoir au sein du secteur et permettre une défense plus efficace des droits des travailleurs.
Des programmes de formation pourraient par ailleurs être développés pour professionnaliser davantage le secteur, améliorer les compétences des agents et, potentiellement, valoriser leur statut et leurs conditions de travail.
Enfin, une sensibilisation accrue du public aux conditions de travail des agents de sécurité et à l’importance de leur rôle pourrait contribuer à créer une pression sociale favorable à l’amélioration de leur situation.
Un équilibre nécessaire entre croissance économique et justice sociale
Le secteur de la sécurité privée en Côte d’Ivoire se trouve à la croisée des chemins. Son expansion rapide et son poids économique croissant en font un acteur incontournable du paysage économique national. Cependant, cette croissance ne saurait se faire au détriment des droits et du bien-être des travailleurs qui en sont le fondement.
L’enjeu pour les années à venir sera de trouver un équilibre harmonieux entre le développement économique du secteur et l’amélioration des conditions de travail des agents. C’est à cette condition que la sécurité privée pourra pleinement jouer son rôle dans la société ivoirienne, contribuant à la fois à la sécurité des personnes et des biens, à la création d’emplois décents et à la croissance économique du pays.
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