Financement des fintechs : comment les startups ivoiriennes innovent pour grandir sans perdre le contrôle

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Face à la rareté du capital-risque en Afrique francophone, les fintechs ivoiriennes expérimentent de nouveaux instruments pour financer leur croissance tout en limitant la dilution des fondateurs. Obligations convertibles, dette mezzanine et prises de participation ciblées redessinent l’architecture financière de l’écosystème startup local. Analyse d’une mutation en cours.

Quand Julaya signe le 17 octobre 2025 un investissement de 800 millions FCFA sous forme d’obligations convertibles avec CDC-CI Capital, elle ne fait pas qu’une levée de fonds classique. La fintech de paiements B2B illustre une tendance émergente : le recours à des instruments financiers hybrides permettant d’accéder au capital nécessaire à la croissance sans céder immédiatement le contrôle de l’entreprise.

Cette stratégie contraste avec l’approche traditionnelle du financement par capital pur (equity) qui, bien que efficace pour lever rapidement des montants importants, entraîne une dilution progressive des fondateurs et peut aboutir à une perte de maîtrise stratégique. Dans un contexte où le capital-risque reste limité en Afrique francophone, les startups doivent innover dans leurs montages financiers.

Trois modèles, trois stratégies

L’écosystème fintech ivoirien offre actuellement trois illustrations de stratégies de financement distinctes, chacune avec ses avantages et contraintes.

Le modèle hybride de Julaya. Spécialisée dans les solutions de paiement pour entreprises, Julaya a choisi les obligations convertibles – un instrument de dette qui peut être transformé en actions à une date ou condition prédéfinie. Ce choix présente plusieurs avantages tactiques : capital immédiat sans dilution immédiate des fondateurs, flexibilité dans le calendrier de conversion souvent lié à des jalons de performance, et signal de confiance d’un investisseur institutionnel qui facilite d’autres levées.

Selon CDC-CI Capital, cet investissement vise “à soutenir le développement de Julaya Côte d’Ivoire en finançant les investissements nécessaires à l’élargissement et à l’enrichissement de son offre de services”. Le timing est stratégique : Julaya vient d’obtenir en mai 2025 son agrément d’Établissement de paiement auprès de la BCEAO, lui permettant d’opérer directement les flux de paiement sans intermédiaire bancaire.

Le directeur général de Julaya confirme que cette structure permet à l’entreprise “de disposer de ressources financières stables et adaptées pour accélérer sa stratégie de croissance” tout en conservant la maîtrise opérationnelle.

L’approche capital pur de Djamo. La néobanque ivoirienne a choisi une voie différente en levant 17 millions de dollars en avril 2025 lors d’un tour de table en capital pur – le plus élevé jamais réalisé par une startup ivoirienne. Cette opération, bien que diluante pour les fondateurs, apporte une crédibilité internationale et des moyens massifs pour une expansion rapide.

Hassan Bourgi, co-fondateur de Djamo, assume cette stratégie en soulignant l’objectif de “révolutionner les services financiers en Afrique francophone” pour une clientèle mal desservie. Le montant levé témoigne de la maturité du marché et de l’appétit des investisseurs internationaux pour les fintechs africaines à fort potentiel.

La participation publique ciblée sur Ades. La startup healthtech a bénéficié d’un investissement en fonds propres de 350 millions FCFA de CDC-CI Capital en octobre 2025. Cette prise de participation directe par une institution publique nationale présente l’avantage d’un alignement avec les objectifs de développement local, tout en apportant le “label” d’un investisseur crédible sans nécessairement imposer une gouvernance contraignante.

Les avantages stratégiques des instruments hybrides

Au-delà des montants levés, les obligations convertibles et autres instruments hybrides offrent des avantages stratégiques souvent sous-estimés. D’abord, ils permettent aux fondateurs de conserver des marges de manœuvre importantes dans les prises de décision et la vision stratégique, améliorant ainsi leur pouvoir de négociation dans les tours ultérieurs.

Ensuite, la conversion différée permet de retarder la dilution et potentiellement d’accroître la valeur des actions détenues par les fondateurs au moment de la conversion, si l’entreprise a réussi à démontrer sa trajectoire de croissance entre-temps.

Sur le plan opérationnel, ces structures se révèlent souvent plus rapides à négocier et documenter qu’un tour d’equity complet, un atout non négligeable pour des startups qui doivent saisir rapidement des opportunités de marché.

Toutefois, ces instruments comportent aussi des risques. L’entreprise doit prévoir des mécanismes clairs de conversion (prix, taux, dilutions futures) et honorer les engagements de coupon et remboursement si la conversion n’a pas lieu, ce qui peut peser sur la trésorerie. Une analyse de FinDev Gateway souligne d’ailleurs que les fintechs en Afrique francophone doivent soigneusement équilibrer dette et equity pour maintenir croissance et contrôle.

Un écosystème en mutation

L’émergence de ces instruments financiers sophistiqués en Côte d’Ivoire envoie un signal fort : l’écosystème local franchit une étape de maturité. Le pays passe d’un écosystème “en quête de fonds” à un écosystème capable de structurer des montages financiers adaptés aux spécificités locales tout en respectant des standards internationaux.

Le rôle de CDC-CI Capital se révèle ici déterminant. Financée via le projet PCCET (Projet des chaînes de valeur compétitives pour l’emploi et la transformation économique), cette filiale de la Caisse des Dépôts joue un rôle de “catalyseur” sans se substituer aux investisseurs privés. En acceptant des structures comme les obligations convertibles, elle démontre qu’un investisseur public peut soutenir les startups sans exiger un contrôle immédiat, encourageant ainsi l’esprit entrepreneurial.

Cette dynamique attire également l’attention des investisseurs internationaux. Le fait que des montages plus sophistiqués soient désormais possibles en Côte d’Ivoire augmente l’appétence des fonds d’impact, des investisseurs de dette et des fonds mezzanine pour le marché ivoirien.

Les conditions d’un développement durable

Pour que cette dynamique se pérennise et s’élargisse, plusieurs conditions doivent être réunies. La standardisation et l’accessibilité des instruments hybrides – obligations convertibles, dette mezzanine, financements de type royalty-based – doivent progresser pour devenir des options courantes pour les entrepreneurs.

La transparence juridique et fiscale nécessite également des clarifications : modalités de conversion, droits des investisseurs, implications fiscales doivent être mieux définies pour réduire les risques et les coûts de transaction.

Le développement d’un écosystème local d’investisseurs diversifiés – fonds d’amorçage, plateformes d’investissement, réseaux d’anges, mais aussi fonds de dette et mezzanine africains – permettrait aux startups de franchir davantage d’étapes sans dépendre uniquement des capitaux étrangers.

Enfin, des politiques publiques incitatives pourraient accélérer cette maturation : mécanismes de garantie publique pour la dette des startups, crédits d’impôt pour les investisseurs privés dans les fintechs locales, ou encore un cadre réglementaire spécifique intégrant les objectifs d’inclusion financière.

Une longueur d’avance pour qui sait innover

Les fintechs ivoiriennes qui sauront allier croissance rapide, innovation technologique, contrôle stratégique et structure financière adaptée disposeront d’une longueur d’avance significative. Julaya, avec ses obligations convertibles, Djamo avec sa levée record en equity, et Ades avec son partenariat public, tracent trois chemins possibles.

L’enjeu dépasse les cas individuels. C’est tout l’environnement de la tech ivoirienne qui gagne en crédibilité, profondeur et attractivité – pour les entrepreneurs qui y voient un terrain fertile, pour les investisseurs qui y détectent des opportunités structurées, et plus largement pour l’économie nationale qui peut compter sur un secteur fintech robuste pour accélérer l’inclusion financière.

Le passage d’un écosystème émergent à un écosystème mature ne se mesure pas seulement aux montants levés, mais à la sophistication des instruments mobilisés et à la capacité des acteurs locaux à négocier les termes de leur propre développement. Sur ce terrain, la Côte d’Ivoire semble avoir franchi un cap décisif.


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