Finance souveraine : Lassina Fofana, l’architecte de la stratégie d’investissement domestique de la Côte d’Ivoire

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À 72 ans, le Directeur général de la Caisse des Dépôts et Consignations de Côte d’Ivoire a transformé en six ans une institution naissante en acteur incontournable du financement du développement. Avec près de 200 milliards FCFA de ressources investies, Lassina Fofana incarne une génération de dirigeants publics qui font de la mobilisation de l’épargne nationale le levier d’une souveraineté économique reconquise.

Dans le paysage financier ivoirien, peu de personnalités auront marqué les six dernières années autant que Lassina Fofana. À la tête de la CDC-CI depuis mars 2019, cet ancien du Trésor public a méthodiquement construit un instrument de financement dont l’empreinte se lit désormais dans des secteurs aussi variés que la fintech, l’industrie, l’immobilier ou la banque. De l’entrée au capital de la BICICI au soutien des startups Djamo et Julaya, en passant par le partenariat stratégique sur la zone industrielle PK24, Fofana a fait de la CDC-CI bien plus qu’une simple caisse de dépôt : un catalyseur de la transformation économique “made in Côte d’Ivoire”.

Un pur produit des finances publiques ivoiriennes

Né en 1953 à Abengourou, Lassina Fofana a bâti sa carrière au cœur de l’appareil financier de l’État. Après des études supérieures en France – Licence et Maîtrise de sociologie, puis DEA en socio-économie du développement à Lille – il intègre l’École Nationale d’Administration d’Abidjan. Il en ressort diplômé du cycle supérieur, option Trésor, en 1986, rejoignant ainsi le sérail des “énarques” ivoiriens.

Sa trajectoire au sein du Trésor public s’étend sur plus de trois décennies. Trésorier départemental à Divo dans les années 1990, inspecteur principal à l’Inspection Générale du Trésor, il accède au poste stratégique d’Agent comptable de la Dette Publique de 2000 à 2005, période durant laquelle il gère le financement des projets cofinancés et la dette souveraine. Cette expérience lui forge une expertise pointue en gestion des ressources publiques et en relations avec les bailleurs internationaux.

Au milieu des années 2000, Fofana se spécialise dans la modernisation de la gestion publique. Conseiller technique chargé de la démarche qualité auprès du Directeur général du Trésor, il dirige ensuite le service Qualité et Normalisation du Trésor public à partir de 2010. Cette expertise en gouvernance et performance financière le propulse au poste de Directeur Général Adjoint du Trésor quelques années plus tard.

C’est fort de ce parcours impressionnant que Lassina Fofana est appelé, en mars 2019, à piloter la toute nouvelle CDC-CI. Le 20 mars 2019, il prête officiellement serment devant la Commission de Surveillance de la Caisse, s’engageant à garantir “l’inviolabilité des fonds confiés, la sécurité, la liquidité et la rentabilité des ressources gérées”. Un engagement qu’il tiendra scrupuleusement.

Une stratégie d’investissement tous azimuts

Dès le lancement opérationnel de la CDC-CI au second semestre 2019, Fofana imprime sa marque : pragmatisme, diversification et ancrage dans l’économie réelle. En trois ans à peine, le bilan devient éloquent. La CDC-CI réalise 190 milliards FCFA d’investissements financiers sur les marchés monétaire et financier, tout en finançant des projets d’intérêt général à fort impact socio-économique.

L’un des coups d’éclat orchestrés sous sa houlette demeure l’entrée au capital de la BICICI fin 2022. Aux côtés d’autres entités publiques – BNI, CNPS, IPS-CGRAE – la CDC-CI participe au rachat des parts de BNP Paribas et Proparco dans cette grande banque commerciale ivoirienne. L’opération, finalisée en septembre 2022, permet à la Caisse d’acquérir 12% du capital de la BICICI. “La CDC s’est arrogée 12% du capital de la BICICI”, souligne fièrement Fofana, inscrivant ce mouvement dans la vision du président Alassane Ouattara de bâtir un puissant pool bancaire public pour mieux financer l’économie nationale.

Au-delà des banques, Lassina Fofana diversifie le portefeuille de la CDC-CI. Dans l’immobilier, la Caisse finance dès 2019-2020 la construction de logements sociaux et économiques, notamment via le programme Les Jardins d’Ahoué à Abidjan. Dans le capital-investissement, la CDC-CI entre en 2023 au capital de Comoé Capital, un fonds dédié aux PME ivoiriennes. “La CDC-CI se réjouit de cette coopération avec Comoé Capital qui va permettre de soutenir davantage le développement des PME créatrices de richesse et d’emplois”, déclare Fofana lors de la signature du partenariat. Résultat : plus d’une vingtaine de start-ups et PME financées, générant déjà plus de 250 emplois formels.

Le pari gagnant de la fintech

Signe d’une orientation résolument tournée vers l’innovation, Fofana positionne la CDC-CI comme un acteur majeur du soutien aux startups technologiques. Sa filiale CDC-CI Capital, créée en 2023 en partenariat avec la Banque mondiale, dispose d’un guichet de capital-risque dédié aux jeunes entreprises innovantes.

En février 2025, un accord de financement de 800 millions FCFA est signé avec Djamo Côte d’Ivoire, néobanque fondée en 2019 qui compte 1,2 million d’utilisateurs. Quelques mois plus tard, en octobre 2025, la CDC-CI récidive en apportant 800 millions FCFA à Julaya Côte d’Ivoire, fintech spécialisée dans les paiements digitaux pour entreprises. Le financement, structuré sous forme d’obligations convertibles, accompagne Julaya au moment où celle-ci obtient son agrément d’Établissement de paiement auprès de la BCEAO.

Le secteur de la santé n’est pas oublié : en octobre 2025, via CDC-CI Capital, Fofana investit 350 millions FCFA dans l’Agence de Développement de l’e-Santé (ADES) pour stimuler la télémédecine en Côte d’Ivoire.

La vision souveraine : mobiliser l’épargne nationale

Au-delà de la multiplication des investissements, c’est une vision cohérente qui guide l’action de Lassina Fofana : faire de la mobilisation de l’épargne nationale le levier d’un développement souverain et durable. “Il est essentiel que la CDC-CI devienne le principal instrument de mobilisation des ressources domestiques et le levier du financement des investissements d’intérêt général”, martèle-t-il lors de la cérémonie de signature du partenariat sur la zone industrielle PK24 en octobre 2025.

Cette conviction se traduit concrètement. La CDC-CI sécurise et gère des fonds qui lui sont légalement confiés : dépôts des caisses de sécurité sociale, consignations des notaires et tribunaux, cautionnements administratifs, ressources des services publics, dépôts dormants dans les banques. Mais Fofana innove aussi : en 2021, il lance la plateforme CDC Épargne Diaspora, une offre numérique destinée aux Ivoiriens de l’étranger qui souhaitent investir leur épargne dans des projets nationaux.

Cette stratégie de souveraineté économique se lit également dans le refus de la dépendance vis-à-vis des capitaux étrangers. En entrant au capital de la BICICI, l’État ivoirien s’assure que cette banque de premier plan reste sous pavillon national après le désengagement de BNP Paribas. En soutenant Djamo ou Julaya, la CDC-CI fait le pari de champions ivoiriens de la finance numérique plutôt que de laisser les investisseurs internationaux occuper seuls ce créneau.

Pour Fofana, la CDC-CI doit être un “investisseur d’intérêt général qui intervient notamment en appui des politiques publiques”. Un positionnement qui le distingue des investisseurs purement financiers et qui impose un équilibre délicat entre rentabilité et impact social.

Le pragmatisme des partenariats public-privé

Loin d’opposer État et marché, Lassina Fofana mise sur une approche collaborative du développement. Sur la zone industrielle PK24, le partenariat tripartite avec le groupe ARISE (investisseur privé) et la CNPS illustre cette philosophie. “Un gage d’avenir, symbole d’une Côte d’Ivoire industrielle, prospère et solidaire”, qualifie-t-il ce partenariat qui vise l’installation de 150 entreprises et la création de 21 000 emplois directs.

Cette culture du partenariat s’étend aux organismes internationaux. La Banque mondiale appuie directement la CDC-CI avec un financement de 38 milliards FCFA dédié à CDC-CI Capital, tandis que la Banque africaine de développement octroie des subventions pour renforcer le secteur des micro-entreprises. Des collaborations qui renforcent la crédibilité de la CDC-CI et témoignent de la confiance des partenaires dans le modèle promu par Fofana.

Les défis de la consolidation

Malgré un démarrage couronné de succès, des défis subsistent. À 72 ans, Lassina Fofana devra préparer sa succession et institutionnaliser les bonnes pratiques pour inscrire la CDC-CI dans le long terme, au-delà des personnes et des mandats politiques.

La question des ressources demeure également centrale. Pour continuer à financer des projets structurants, la CDC-CI a besoin de fonds longs, stables et suffisants. Or, sa capacité de mobilisation interne reste contrainte par la taille encore modeste de l’épargne nationale formelle. Fofana devra diversifier les mécanismes de collecte tout en maintenant la confiance des déposants – un exercice d’équilibriste.

Enfin, l’équilibre entre rentabilité financière et impact social constituera un arbitrage permanent. Les projets financés doivent générer des retours pour préserver les fonds propres de la CDC, tout en servant l’intérêt général. Un double objectif qui nécessitera des outils d’évaluation d’impact robustes et une communication transparente sur les résultats.

Un modèle qui fait école

En six ans, Lassina Fofana a transformé la CDC-CI en référence. “Depuis 2019, la CDC-CI s’est imposée comme un acteur majeur du financement national, intervenant dans des secteurs stratégiques tels que l’immobilier, le soutien aux entreprises et le secteur bancaire”, résume Fraternité Matin.

Au-delà des chiffres, c’est un modèle qu’il a construit : celui d’une finance publique agile, innovante et souveraine, capable de conjuguer vision stratégique et pragmatisme opérationnel. Un modèle qui résonne avec l’ambition d’émergence de la Côte d’Ivoire et pourrait inspirer d’autres nations africaines en quête de solutions financières autonomes et résilientes.

Dans le parcours de cet ancien du Trésor devenu bâtisseur d’une finance souveraine, se dessine peut-être l’avenir d’un continent qui reprend en main les leviers de son développement.


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