En pleine quête de transformation industrielle durable, la Côte d’Ivoire pourrait s’inspirer des initiatives africaines d’économie circulaire qui émergent sur le continent. Des expériences comme celle d’Askema Engineering en Éthiopie démontrent comment l’innovation dans la valorisation des déchets peut créer de la richesse, générer des emplois et réduire l’impact environnemental.
Face à l’urgence climatique et à l’épuisement progressif des ressources naturelles, le modèle économique linéaire traditionnel – extraire, produire, consommer, jeter – révèle ses limites. L’économie circulaire s’impose progressivement comme une alternative crédible, particulièrement pour les pays africains qui cherchent à concilier industrialisation rapide et durabilité environnementale. Pour la Côte d’Ivoire, engagée dans une stratégie ambitieuse de transformation structurelle, les expériences circulaires du continent offrent des enseignements précieux.
L’économie circulaire, un potentiel économique considérable
L’économie circulaire repose sur un principe simple mais révolutionnaire : produire sans gaspiller en prolongeant la durée de vie des produits, en valorisant systématiquement les déchets et en favorisant le recyclage à toutes les étapes de la chaîne de valeur. Ce paradigme s’oppose frontalement à l’économie linéaire devenue insoutenable face aux contraintes environnementales actuelles.
Pour l’Afrique, ce modèle représente une opportunité stratégique unique de combiner industrialisation, inclusion sociale et préservation environnementale. Selon le dernier rapport de l’African Circular Economy Alliance (ACEA), l’économie circulaire pourrait générer jusqu’à 11 millions d’emplois et créer 546 milliards de dollars de valeur économique d’ici 2030 sur le continent. Ces chiffres traduisent l’ampleur du potentiel encore largement inexploité.
Des expériences africaines qui montrent la voie
Plusieurs initiatives continentales illustrent la viabilité économique et sociale de l’approche circulaire. L’exemple le plus emblématique est celui d’Askema Engineering, une entreprise éthiopienne qui a développé un procédé innovant de fabrication de plaquettes de frein à partir de déchets d’abattoirs. Cette valorisation industrielle de biodéchets considérés comme inutiles génère non seulement de la valeur ajoutée, mais emploie également 268 personnes, prouvant que durabilité et création d’emplois peuvent converger.
Au Rwanda, des startups transforment les déchets organiques en engrais biologiques destinés à l’agriculture locale, créant ainsi des boucles vertueuses entre secteurs urbain et rural. Au Nigeria, la filière du recyclage des déchets électroniques se structure progressivement, permettant la production de pièces détachées et de matériaux de construction à partir d’équipements en fin de vie. Au Kenya, l’industrie du plastique recyclé alimente la fabrication de pavés, de meubles et même de matériaux pour le secteur du bâtiment.
Ces initiatives partagent plusieurs caractéristiques communes : elles s’appuient sur des ressources locales (les déchets), créent de la valeur sur place, génèrent des emplois accessibles à des populations souvent exclues de l’économie formelle, et répondent à des besoins réels des marchés locaux.
Des bénéfices multidimensionnels
L’économie circulaire présente des avantages qui dépassent largement le cadre environnemental. Sur le plan économique, elle stimule la création d’emplois dans des secteurs variés : recyclage, maintenance, transformation artisanale et industrielle. Elle renforce également les chaînes de valeur locales en limitant la dépendance aux importations de matières premières ou de produits finis.
Sur le plan social, elle favorise une industrialisation inclusive en intégrant les jeunes, les femmes et les populations issues de l’économie informelle dans des projets productifs structurés. Les filières de collecte et de tri des déchets, par exemple, offrent des opportunités d’emploi à des catégories souvent marginalisées.
Sur le plan environnemental, la réduction des déchets et l’amélioration de la gestion des ressources naturelles contribuent à atténuer la pression sur les écosystèmes fragiles. L’économie circulaire encourage également l’innovation locale, en stimulant le développement de solutions adaptées aux contextes économiques africains plutôt que l’importation de technologies occidentales parfois inadaptées.
La Côte d’Ivoire entre potentiel et obstacles
La Côte d’Ivoire dispose d’atouts non négligeables pour développer son économie circulaire. Plusieurs initiatives locales témoignent d’un potentiel important. Des entreprises comme Coliba, Recycle West Africa ou PlastIvoire œuvrent activement dans le recyclage du plastique à Abidjan. Dans le secteur agricole, des coopératives valorisent les déchets de cacao ou de manioc pour produire de l’engrais organique ou du biogaz. Des programmes pilotes testent la réutilisation des eaux usées ou des sous-produits industriels dans certaines zones industrielles.
Toutefois, le déploiement à grande échelle de l’économie circulaire se heurte à plusieurs obstacles structurels. Le premier concerne le financement. Les jeunes entreprises et les innovations non conventionnelles peinent à accéder aux capitaux nécessaires à leur développement. Les banques commerciales restent réticentes à financer des modèles économiques qu’elles jugent risqués ou mal compris.
Le cadre réglementaire constitue un second frein majeur. L’absence de fiscalité verte incitative, le faible contrôle de la gestion des déchets et l’insuffisance de normes claires freinent l’émergence d’un écosystème circulaire structuré. Le cadre juridique actuel reste largement orienté vers le modèle linéaire classique.
L’insuffisance de coordination intersectorielle entre les ministères de l’Environnement, de l’Industrie, de l’Agriculture et de l’Urbanisme limite également la cohérence des politiques publiques. L’économie circulaire nécessite une approche transversale qui peine encore à se concrétiser dans l’architecture administrative ivoirienne.
Enfin, la faible sensibilisation des populations et des décideurs économiques à l’économie circulaire comme levier de compétitivité constitue un obstacle culturel non négligeable. Le déchet est encore largement perçu comme un problème à éliminer plutôt que comme une ressource à valoriser.
Cinq leviers pour une industrialisation circulaire
Pour intégrer l’économie circulaire dans sa stratégie industrielle, la Côte d’Ivoire dispose de plusieurs leviers d’action. D’abord, la structuration d’un cadre juridique et fiscal incitatif s’impose. Des mesures favorisant l’investissement dans le recyclage, la réparation ou la valorisation des déchets permettraient de stimuler les initiatives privées.
Ensuite, le renforcement de l’accès au financement des PME circulaires via des fonds d’impact, des lignes vertes bancaires ou des partenariats public-privé dédiés faciliterait l’émergence d’un tissu entrepreneurial circulaire.
La formation des acteurs économiques constitue un troisième pilier essentiel. Artisans, coopératives, collectivités territoriales et industriels doivent être accompagnés dans l’appropriation des principes et des techniques de l’économie circulaire.
Le quatrième levier concerne le soutien à la recherche et à l’innovation locale. Universités, incubateurs et centres techniques doivent être mobilisés pour développer des solutions circulaires adaptées aux spécificités ivoiriennes.
Enfin, l’intégration de la circularité dans les politiques publiques, notamment dans les critères des marchés publics, la planification des zones industrielles et les plans d’urbanisation, permettrait de créer un effet d’entraînement puissant.
Vers une nouvelle révolution industrielle
L’économie circulaire n’est pas une utopie écologique réservée aux pays développés. Elle représente une voie concrète d’industrialisation adaptée aux défis du XXIe siècle : raréfaction des ressources, chômage massif, pollution croissante. Les expériences africaines réussies, d’Addis-Abeba à Nairobi en passant par Kigali, démontrent sa viabilité économique et sociale.
Pour la Côte d’Ivoire, la transition vers un modèle circulaire pourrait constituer le moteur d’une nouvelle révolution industrielle, plus résiliente, plus inclusive et plus compétitive que le modèle linéaire hérité du XXe siècle. À condition de lever les freins identifiés et de créer un écosystème favorable à l’innovation circulaire, le pays dispose de tous les atouts pour devenir un leader régional de cette transformation économique majeure.
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