Déficit public français : les racines profondes d’un déséquilibre structurel

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Avec un déficit dépassant 5% du PIB en 2024 et une dette frôlant 113% du PIB, la France fait face à un déséquilibre budgétaire structurel qui dépasse les seuls chocs conjoncturels. Analyse des facteurs économiques, politiques et géopolitiques d’une crise financière annoncée.

La France traverse une crise budgétaire majeure qui place le pays parmi les États les plus déficitaires de l’Union européenne. En 2024, le déficit public dépasse 5% du PIB selon Eurostat, soit largement au-delà du seuil de 3% fixé par les traités européens, tandis que la dette publique atteint près de 113% du PIB. Si la pandémie de COVID-19 et la guerre en Ukraine ont aggravé la situation, réduire ce déséquilibre à ces seuls facteurs conjoncturels masquerait des causes structurelles plus profondes qui menacent la soutenabilité des finances publiques françaises.

Les choix fiscaux d’Emmanuel Macron en question

Arrivé au pouvoir en 2017 avec l’engagement de restaurer la responsabilité budgétaire, Emmanuel Macron a paradoxalement supervisé une dégradation notable des comptes publics, même avant la crise sanitaire. Sa stratégie s’est fondée sur un refus catégorique de hausser les impôts, privilégiant au contraire des baisses de prélèvements massives.

Le ministre de l’Économie Bruno Le Maire revendiquait 55 milliards d’euros de baisses d’impôts cumulées sur les deux quinquennats. Cette politique s’est concrétisée par plusieurs mesures coûteuses : la suppression de l’ISF, remplacé en 2018 par un impôt sur la fortune immobilière allégé, a privé l’État d’environ 4,5 milliards d’euros par an. L’instauration d’une flat tax de 30% sur les revenus du capital a allégé la charge fiscale des contribuables aisés au prix de 1,8 milliard d’euros annuels.

La réduction progressive du taux d’impôt sur les sociétés de 33% à 25% a coûté 11 milliards d’euros, tandis que la suppression de la taxe d’habitation sur les résidences principales, compensée aux collectivités locales par l’État, a entamé les recettes publiques de près de 3 milliards d’euros en 2023.

La Cour des comptes évalue l’impact de ces baisses d’impôts décidées depuis 2018 à -62 milliards d’euros sur le solde public de 2023. Sans ces allègements fiscaux non compensés, le déficit français serait nettement plus proche des normes européennes. Le pari du “ruissellement” – l’idée que ces baisses d’impôts stimuleraient suffisamment la croissance pour s’autofinancer – ne s’est pas matérialisé. La croissance française post-COVID a stagné à 0,9% en 2023, tandis que la charge d’intérêt de la dette a augmenté à 2,1% du PIB en 2024 contre 1,3% en 2020.

L’explosion des dépenses exceptionnelles

Sur le volet dépenses, la stratégie gouvernementale a oscillé entre tentatives de rigueur et investissements massifs. Le plan “quoi qu’il en coûte” de 2020-2021, indispensable pour éviter l’effondrement économique, a fait exploser le déficit à 9,2% du PIB en 2020. Le plan de relance de 100 milliards d’euros, suivi des aides face à la flambée énergétique de 2022 (bouclier tarifaire, ristournes carburant), ont creusé davantage la dette.

Bien que ces dépenses aient amorti le choc pour les ménages et les entreprises, leur efficacité à long terme interroge. La reprise post-COVID, vive en 2021 (+6,9% de PIB), s’est rapidement essoufflée dès 2022-2023. La France s’est endettée massivement sans résoudre ses fragilités structurelles, limitant les marges de manœuvre futures pour financer les nouvelles priorités comme la transition écologique ou les dépenses militaires accrues.

Une économie fragilisée par la désindustrialisation

Au-delà des choix budgétaires, le déficit français s’explique par l’affaiblissement de l’appareil productif national. La France a subi des décennies de désindustrialisation, la part de l’industrie dans le PIB chutant d’environ 25% dans les années 1970 à seulement 13% aujourd’hui. Entre 1980 et 2020, le pays a perdu près de 2 millions d’emplois industriels.

Cette contraction manufacturière génère un déficit commercial chronique. En 2022, le déficit commercial français a atteint le niveau record de 164 milliards d’euros (environ 7% du PIB), quasiment le double de l’année précédente. Si la flambée des prix énergétiques explique une large part de cette dégradation, elle révèle une tendance structurelle : la France importe massivement faute de produire suffisamment.

Cette dépendance se manifeste également dans le financement public. Avec une dette dépassant 3 000 milliards d’euros, la France dépend des conditions dictées par les investisseurs internationaux. La hausse des taux d’intérêt alourdit la charge de la dette, déjà supérieure à 60 milliards d’euros annuels, limitant la capacité d’investissement de l’État.

Paradoxalement, les ménages français épargnent à un niveau historique : plus de 18% du revenu disponible en 2025, un record depuis les années 1970. Cette épargne se dirige principalement vers des placements sécurisés plutôt que vers le capital des entreprises innovantes, créant un décalage entre épargne abondante et investissement productif insuffisant.

Le coût social français en question

La France combine un niveau élevé de prestations sociales avec une efficacité relative discutable. Les dépenses de protection sociale atteignent 32,9% du PIB en 2022, contre 27,2% en moyenne dans l’UE. Le poste des retraites représente près de 14,4% du PIB, soit près du quart de l’ensemble des dépenses publiques. Les dépenses de santé (12,2% du PIB) dépassent également la moyenne européenne.

Ces niveaux reflètent un choix sociétal de solidarité, mais posent la question de l’efficacité. Le système de santé affiche des performances mitigées malgré des moyens parmi les plus élevés d’Europe. L’éducation, où la France dépense 5,2% du PIB, produit des résultats scolaires inégaux comparativement à ses voisins.

La Cour des comptes identifie régulièrement des marges d’économie : doublons entre collectivités, politique du logement coûteuse à 2% du PIB, efficacité discutable de certains dispositifs d’emploi. L’État dépense beaucoup sans optimiser l’impact, aggravant le déficit structurel.

Le déclin de l’influence économique africaine

Un facteur souvent négligé dans l’analyse budgétaire concerne la dimension géopolitique postcoloniale. Pendant des décennies, la France a bénéficié d’un “dividende géopolitique” hérité de son empire colonial, particulièrement en Afrique, assurant influence politique et intérêts économiques.

Cette ère touche à sa fin. La part de marché des entreprises françaises en Afrique subsaharienne a été divisée par deux en vingt ans, passant d’environ 7% en 2005 à 3,2% en 2023. La Chine est devenue le premier fournisseur du continent avec près de 17% de parts de marché, détrônant Paris comme partenaire commercial privilégié.

Les conséquences économiques sont multiples. Les entreprises françaises perdent des contrats et débouchés, réduisant l’activité et l’emploi en France. Les flux bénéficiant aux finances publiques se tarissent : bénéfices rapatriés, contributions fiscales des groupes opérant en Afrique.

L’opération Barkhane au Sahel (2014-2022) a coûté environ 1 milliard d’euros par an sans résultat durable. La France a dû retirer ses troupes du Mali, du Burkina Faso puis du Niger, perdant des accords de défense historiques comme avec le Tchad fin 2024. L’influence en Afrique constitue désormais davantage un coût qu’un bénéfice tangible.

L’exemple d’Orano (ex-Areva) au Niger illustre cette nouvelle donne : en 2024, l’entreprise a suspendu l’exploitation de son site d’uranium suite au coup d’État, la France risquant de perdre un approvisionnement stratégique à bas prix. Les banques françaises ferment leurs filiales africaines, comme la Société Générale qui a cédé de nombreuses agences depuis 2021.

Pistes de redressement structurel

Face à ce diagnostic multidimensionnel, plusieurs leviers de redressement émergent. La réindustrialisation constitue une priorité pour restaurer la création de richesse nationale. Le plan France 2030 doté de 30 milliards d’euros vise à renforcer l’outil productif dans les secteurs stratégiques, avec des signes encourageants comme l’ouverture de gigafactories de batteries.

La rationalisation de la dépense publique exige une évaluation systématique des politiques pour identifier les inefficacités. La France pourrait s’inspirer de voisins européens : les dépenses de fonctionnement de l’État représentent 3,9% du PIB contre 2,6% aux Pays-Bas, suggérant des gains de productivité possibles.

Une réforme fiscale vers plus de justice et de rendement refait surface dans le débat politique. Des ajustements ciblés pourraient améliorer les recettes : rétablissement d’une contribution des ultra-riches, lutte renforcée contre l’évasion fiscale, modulation de la flat tax pour la rendre progressive.

La refondation de la relation économique avec l’Afrique représente une opportunité. Plutôt que de déplorer la fin d’un empire, la France peut construire des liens fondés sur les opportunités mutuelles : co-investissements infrastructurels, transferts technologiques, accords de formation et mobilité.

La transition écologique peut devenir un levier budgétaire. La rénovation énergétique massive réduirait les dépenses d’énergie et les importations. Le développement des renouvelables renforcerait la souveraineté énergétique et pourrait faire de la France un exportateur net d’électricité.

L’urgence d’un changement de paradigme

Le déficit public français ne relève pas d’un simple problème de gestion marginale mais du symptôme d’un modèle à bout de souffle. Ces dernières années, la France a privilégié la facilité à court terme – baisses d’impôts sans contrepartie, dépenses de crise sans réformes structurelles, maintien coûteux d’une influence internationale vacillante – au détriment de l’équilibre à long terme.

Pour éviter une dégradation en crise majeure, un changement de cap stratégique s’impose. Celui-ci doit réorienter les ressources vers l’investissement productif durable, reconstruire une base industrielle solide et repenser le rôle français dans l’économie mondiale.

La France ne manque pas d’atouts : épargne abondante, entreprises innovantes, talents à retenir, secteur public capable d’efficacité, capacité d’influence à réinventer. Il faudra du courage politique pour remettre en question certains dogmes, de la cohérence pour examiner chaque mesure à l’aune de son impact à long terme, et de la pédagogie pour expliquer qu’un effort partagé aujourd’hui évite une crise plus grave demain.

La situation critique peut devenir l’aiguillon d’un sursaut nécessaire. Face aux défis climatiques, technologiques et géopolitiques, la France doit réaligner sa trajectoire sur un cap soutenable et souverain. Ce n’est qu’au prix d’un tel redressement qu’elle pourra investir en son avenir sans hypothéquer celui des générations futures.


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