Côte d’Ivoire : Puissance agricole mondiale, le défi inachevé de l’industrialisation

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La Côte d’Ivoire, premier producteur mondial de cacao et leader africain pour plusieurs cultures d’exportation, se trouve aujourd’hui à la croisée des chemins. Malgré sa position dominante sur certains marchés agricoles internationaux, le pays fait face à un paradoxe économique majeur : une richesse agricole considérable mais une transformation locale marginale qui limite la création de valeur ajoutée sur son territoire.

Une puissance agricole incontestable

La Côte d’Ivoire se distingue comme un acteur majeur au sein de l’agriculture africaine, son économie étant fortement tributaire de ce secteur qui contribue substantiellement à son Produit Intérieur Brut (PIB) et constitue une source d’emploi significative pour une large part de sa population. Avec environ deux tiers de sa population active engagée dans l’agriculture, le pays a bâti sa réputation sur plusieurs filières stratégiques.

Le cacao demeure la pierre angulaire de cette économie, avec une part de marché mondial oscillant entre 40% et 45%. La Côte d’Ivoire maintient fermement sa position de premier producteur mondial de cacao, avec une production annuelle qui atteignait 1 822 320 tonnes en 2023.

Au-delà du cacao, le pays s’est également imposé comme un acteur majeur dans d’autres cultures. L’hévéa, dont la Côte d’Ivoire est devenue le premier producteur en Afrique avec une production de 1 678 100 tonnes en 2023, représentant 9% de la production mondiale. Le pays s’est aussi établi comme une force mondiale de premier plan dans la production et l’exportation de noix de cajou brutes, avec une production de 1 225 935 tonnes en 2023, soit environ 25% du marché mondial.

Le paradoxe de la transformation : une richesse qui s’échappe

Malgré cette impressionnante force productive, un constat s’impose : l’état actuel de la transformation agroalimentaire en Côte d’Ivoire révèle une disparité entre les ambitions nationales et les capacités réelles. Bien que le pays aspire à accroître significativement la transformation locale de ses matières premières agricoles, notamment dans le secteur du cacao avec l’objectif de transformer au moins 50% de la production nationale d’ici 2025, les taux de transformation actuels demeurent relativement faibles pour la plupart des produits agricoles.

Ce phénomène est particulièrement visible dans les filières phares du pays. Pour la plupart des matières premières, l’intégration locale, c’est-à-dire la transformation en produits finis à forte valeur ajoutée, demeure limitée. Par exemple, une part significative du cacao est exportée sous forme de fèves brutes plutôt que transformée en produits chocolatés finis. De même, une grande quantité de noix de cajou est exportée brute, avec une transformation locale encore en développement.

Cette faible intégration locale signifie qu’une part importante de la valeur ajoutée potentielle est captée en dehors de la Côte d’Ivoire, dans les pays où ont lieu la transformation et la fabrication. Une situation qui prive l’économie ivoirienne de revenus substantiels et d’opportunités d’emplois qualifiés.

Les obstacles à l’industrialisation

Plusieurs facteurs expliquent ce retard dans la transformation locale des produits agricoles ivoiriens. Parmi ces obstacles figurent des infrastructures inadéquates, notamment en ce qui concerne les réseaux de transport (routes, ports), l’approvisionnement en énergie fiable et abordable (électricité), et les installations de stockage appropriées pour gérer les produits transformés. De plus, l’accès limité au financement et aux capitaux d’investissement nécessaires à la création ou à l’expansion des installations de transformation constitue un frein important. Enfin, un manque potentiel d’expertise technique spécialisée et de main-d’œuvre qualifiée au sein du secteur de la transformation agroalimentaire peut également entraver la capacité du pays à monter en gamme dans la chaîne de valeur.

Ces défis structurels ne sont pas insurmontables, mais nécessitent des investissements substantiels et une vision stratégique à long terme.

La question de la sécurité alimentaire

Au-delà de l’enjeu industriel, la Côte d’Ivoire, malgré sa puissance agricole globale, présente une dépendance notable aux importations pour certains produits alimentaires de base, en particulier le riz, qui constitue un aliment de base pour une grande partie de la population. Cette situation met en lumière un potentiel déséquilibre dans les priorités agricoles du pays ou un possible sous-investissement historique dans la production et les chaînes de valeur des cultures vivrières.

En réponse à cette dépendance, le gouvernement ivoirien a mis en œuvre diverses politiques et stratégies visant à atteindre une plus grande autosuffisance alimentaire et à réduire la dépendance du pays aux importations alimentaires. Des exemples clés incluent la Stratégie Nationale de Développement de la Riziculture (SNDR), qui définit des objectifs et des investissements spécifiques pour stimuler la production nationale de riz.

Les choix stratégiques pour l’avenir

La décision stratégique de privilégier soit une orientation vers l’exportation axée sur les matières premières, soit de promouvoir activement l’industrialisation locale au sein du secteur agricole implique un compromis complexe pour la Côte d’Ivoire. Les décideurs politiques doivent soigneusement peser les gains économiques potentiels à court terme et les recettes immédiates en devises associées aux exportations de matières premières par rapport aux objectifs de développement à plus long terme de création d’une économie plus diversifiée, résiliente et à plus forte valeur ajoutée grâce à la transformation locale.

Il est plausible qu’une approche soigneusement étudiée et équilibrée, qui promeut stratégiquement la transformation de certaines matières premières clés où la Côte d’Ivoire possède un avantage concurrentiel tout en maintenant des canaux d’exportation efficaces pour d’autres produits agricoles, pourrait représenter la voie la plus optimale et durable pour le développement économique global de la nation.

Les initiatives gouvernementales

Face à ces défis, le gouvernement ivoirien a déjà engagé plusieurs initiatives. Le gouvernement ivoirien a mis en place diverses politiques d’incitation visant à promouvoir l’industrialisation du secteur agro-industriel. Ces politiques peuvent inclure la création et le soutien de zones industrielles dédiées, l’octroi d’avantages fiscaux et d’incitations financières aux entreprises engagées dans la transformation locale, ainsi que des initiatives et des objectifs spécifiques définis dans le cadre plus large du Plan National de Développement (PND).

Les autorités ivoiriennes ont adopté des positions stratégiques et des choix politiques visant à favoriser une plus grande transformation locale, comme en témoignent les stratégies nationales pour le secteur du cacao et le secteur de la transformation de l’anacarde, qui ont pour objectif d’accroître la valeur ajoutée au niveau national.

Un avenir à construire

En conclusion, le secteur agricole ivoirien joue un rôle fondamental dans l’économie nationale, mais il est confronté à des défis importants, notamment un niveau de transformation locale limité et une dépendance aux exportations de matières premières brutes. La Côte d’Ivoire a l’opportunité de transformer son secteur agricole en un moteur de croissance plus durable et inclusif en augmentant la transformation locale, en renforçant la sécurité alimentaire et en trouvant un équilibre stratégique entre les politiques d’exportation et la volonté d’industrialisation.

L’avenir économique de la Côte d’Ivoire dépendra largement de sa capacité à relever ces défis et à transformer son modèle agricole pour capturer davantage de valeur ajoutée sur son territoire, créant ainsi plus d’emplois qualifiés et une économie plus résiliente face aux fluctuations des marchés mondiaux.


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