La Côte d’Ivoire s’impose aujourd’hui comme l’un des acteurs incontournables du secteur électrique ouest-africain. Avec une croissance économique soutenue autour de 6% par an et des investissements colossaux de 1 700 milliards FCFA depuis 2011, le pays a considérablement renforcé ses capacités de production et de distribution d’électricité. Mais cette success story cache des défis majeurs : concilier l’accès universel à l’énergie avec les impératifs de transition énergétique mondiale.
Un secteur en pleine expansion
L’architecture du secteur électrique ivoirien repose sur un duo efficace. CI-Énergies, société publique, pilote la planification et gère les actifs de production et transport, tandis que la Compagnie Ivoirienne d’Électricité (CIE), entreprise privée sous concession jusqu’en 2032, assure la distribution sur l’ensemble du territoire. Cette répartition des rôles, clarifiée par la nouvelle convention État-CIE de 2021, permet une gestion optimisée des investissements et de l’exploitation.
Le parc de production a connu une expansion remarquable, passant de 2 548 MW en 2022 à environ 2 907 MW fin 2023. Ce mix énergétique se compose aujourd’hui de 34% d’hydroélectricité et 66% de thermique en termes de capacité installée. Toutefois, la production effective révèle une réalité différente : le thermique, essentiellement alimenté par le gaz naturel local, représente entre 73 et 76% de l’électricité produite, contre seulement 24% pour l’hydraulique.
Cette prédominance du gaz s’explique par la stratégie gouvernementale de valoriser les ressources nationales d’hydrocarbures. Les centrales d’Azito, portée à 710 MW en 2022 avec sa phase IV, et de CIPREL constituent les piliers de cette production thermique, complétées récemment par une centrale flottante turque de 100 MW amarrée au port d’Abidjan.
L’accès universel en ligne de mire
Les résultats en matière d’électrification sont spectaculaires. Fin 2024, 94% des localités ivoiriennes disposent de l’électricité, et le gouvernement vise une couverture territoriale complète d’ici fin 2025. Cette performance résulte principalement du Programme National d’Électrification Rurale (PRONER) lancé en 2014 et du programme social “Électricité Pour Tous” (PEPT), qui subventionne les raccordements des foyers modestes.
L’impact sur les ménages est considérable : de 1,1 million d’abonnés en 2011, le pays compte aujourd’hui plus de 4 millions de clients connectés. Le taux d’accès national avoisine désormais 70%, largement supérieur à la moyenne subsaharienne. Néanmoins, l’écart entre localités électrifiées et ménages effectivement raccordés révèle un défi persistant en zones rurales, où certains foyers peinent encore à finaliser leur branchement pour des raisons financières ou administratives.
Le défi des énergies renouvelables
Face aux engagements climatiques internationaux, la Côte d’Ivoire doit accélérer sa transition énergétique. L’objectif gouvernemental est ambitieux : atteindre 45% d’énergies renouvelables dans le mix électrique d’ici 2030, contre 31% actuellement. Cette trajectoire inclut les grands barrages hydrauliques existants mais nécessite un développement massif de nouvelles sources propres.
Le solaire photovoltaïque amorce sa montée en puissance avec l’inauguration en mars 2024 de la première centrale du pays à Boundiali (37,5 MW), équipée de batteries de stockage. D’autres projets suivent : une centrale de 112 MW à Korhogo d’ici 2025, une extension de Boundiali à 80 MW, et un projet supplémentaire de 50 MW attribué début 2024.
La biomasse représente un potentiel considérable avec 16,7 millions de tonnes de résidus agricoles disponibles annuellement, notamment issus de la filière cacao. La future centrale Biovéa de 46 MW, alimentée par des déchets agricoles, illustre cette valorisation énergétique des sous-produits de l’agro-industrie.
Côté hydraulique, après le barrage de Soubré (275 MW) opérationnel depuis 2017, de nouveaux ouvrages renforcent les capacités renouvelables : Gribo-Popoli mis en eau en 2023, Singrobo-Ahouaty (44 MW) en cours de réalisation, et les projets Boutoubré et Louga en phase d’étude.
Hub énergétique régional
L’intégration au marché électrique ouest-africain constitue un axe stratégique majeur. Membre actif du West African Power Pool, la Côte d’Ivoire exporte déjà vers le Ghana, le Burkina Faso et le Mali. L’interconnexion CLSG (Côte d’Ivoire-Liberia-Sierra Leone-Guinée), opérationnelle depuis 2022 grâce au soutien de la Banque Mondiale et de la BAD, consolide cette position de fournisseur régional.
Les contrats commerciaux se multiplient : jusqu’à 50 MW fournis au Libéria depuis 2022, et des ventes débutantes vers la Sierra Leone et la Guinée. Cette stratégie d’exportation génère des revenus précieux tout en optimisant l’utilisation des capacités de production nationales.
Défis structurels persistants
Malgré ces avancées, le secteur fait face à des enjeux de taille. La fiabilité de l’approvisionnement reste perfectible, comme l’ont démontré les pannes majeures d’avril 2024 sur les centrales d’Azito et CIPREL, contraignant le pays à réduire temporairement ses exportations. Si le temps moyen de coupure annuel a été divisé par deux entre 2011 et 2023 (de 47 à 29 heures), des progrès restent nécessaires en matière de maintenance préventive et de réserves de capacité.
L’équilibre financier du secteur constitue un autre défi majeur. Le maintien de tarifs subventionnés pour préserver le pouvoir d’achat et la compétitivité industrielle met sous tension les finances des opérateurs. CI-Énergies a d’ailleurs traversé des difficultés de trésorerie en 2021. La viabilité à long terme passe par l’optimisation des coûts de production, notamment via le développement des énergies renouvelables dont les prix continuent de baisser, et la réduction des pertes techniques sur le réseau.
Perspectives d’avenir
Le plan stratégique 2022-2040 du secteur électrique prévoit un doublement de la capacité installée à environ 5 000 MW en 2030, avec près de la moitié provenant de sources propres. Les 1 221 milliards FCFA d’investissements actuellement engagés témoignent de cette ambition.
La réussite de cette transformation énergétique nécessitera une mobilisation accrue des financements climatiques internationaux, un renforcement du cadre réglementaire pour faciliter l’intégration des producteurs indépendants d’électricité renouvelable, et le développement de compétences locales dans ces nouvelles technologies.
Entre exploitation optimale de ses ressources gazières nationales et montée en puissance des énergies vertes, la Côte d’Ivoire navigue vers un modèle énergétique plus durable. L’enjeu est de taille : maintenir une croissance économique robuste tout en respectant les engagements climatiques, dans un contexte où l’accès universel à l’électricité demeure la priorité absolue pour le développement du pays.
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