Côte d’Ivoire : le boom minier transforme l’économie du pays

  • 0
  • 10 vues

La nation ivoirienne s’impose progressivement comme l’un des acteurs miniers émergents du continent africain, avec une production d’or qui a bondi de 7 à 51 tonnes en une décennie.

Longtemps cantonnée à son statut de premier producteur mondial de cacao, la Côte d’Ivoire écrit aujourd’hui un nouveau chapitre de son développement économique. Depuis une dizaine d’années, le pays connaît un véritable essor minier qui redistribue les cartes de sa stratégie de diversification économique. Cette transformation s’appuie sur un potentiel géologique exceptionnel : située sur la ceinture birimienne, riche en métaux précieux, la nation recèle d’importantes réserves d’or, de manganèse, de nickel, de cobalt, et plus récemment de coltan et de lithium.

Une géographie minière en pleine révélation

La cartographie des ressources minières ivoiriennes dessine une nouvelle géographie économique du territoire. Les gisements se concentrent principalement dans le nord et l’ouest du pays, révélant une cinquantaine de prospects aurifères et une trentaine de permis de recherche en cours. L’or domine ce paysage minier avec des sites d’exploitation s’étendant du nord – région de Boundiali et Tongon – jusqu’à l’ouest – Ity et Zouenoula – en passant par le centre-ouest autour de Daloa et Séguéla.

Le manganèse trouve ses principaux gisements dans la région de Grand-Lahou au sud-ouest et vers Bondoukou à l’est, tandis que le nickel et le cobalt sont extraits dans l’ouest montagneux, notamment vers Biankouma et Sipilou. Cette diversification géographique et minéralogique traduit la richesse du sous-sol ivoirien, longtemps sous-exploité.

En 2023, le territoire compte 14 mines industrielles en exploitation, dont la moitié dédiée à l’or, deux au manganèse, une au nickel, et le reste aux carrières de ciment. Plusieurs projets greenfield sont programmés pour une mise en production d’ici 2025, témoignant de la dynamique d’investissement dans le secteur.

Des multinationales en quête d’or africain

Le secteur minier ivoirien attire les géants internationaux de l’extraction. Les opérateurs sont majoritairement des sociétés multinationales, principalement canadiennes et australiennes, opérant en coentreprise avec l’État ivoirien par l’intermédiaire de la SODEMI (Société d’État pour le Développement Minier).

Barrick Gold exploite la mine de Tongon au nord, l’une des plus importantes du pays avec une production annuelle d’environ 200 000 onces. Endeavour Mining opère la mine d’Ity à l’ouest et développe le projet Lafigué près de Daoukro. Perseus Mining produit sur la mine de Yaouré, tandis que Roxgold Inc., rachetée par Fortuna Silver, a démarré en 2023 la mine de Séguéla avec une capacité de 130 000 onces annuelles.

Cette présence internationale s’accompagne d’une montée en puissance des capitaux asiatiques. Les sociétés chinoises investissent notamment dans le coltan, avec un accord Sino-SODEMI signé en 2024 pour exploiter le gisement d’Issia, et s’intéressent aux indices de lithium identifiés dans le sud-est du pays.

Une production en croissance exponentielle

Les chiffres de production témoignent de cette métamorphose économique. La production d’or ivoirienne a littéralement explosé, passant de 7 tonnes en 2011 à 51 tonnes en 2023, un record historique. Pour 2024, le ministère des Mines anticipe 56 tonnes, grâce à l’entrée en régime des nouvelles exploitations. Cette performance propulse la Côte d’Ivoire au sixième rang des producteurs d’or africains, derrière le Mali, le Soudan, l’Afrique du Sud, le Ghana et le Burkina Faso.

L’or est désormais l’un des tout premiers produits d’exportation du pays en valeur, aux côtés du cacao et de l’anacarde. Le manganèse, autre ressource traditionnelle, a atteint 0,80 million de tonnes en 2022, et un plan de relance vise 1 million de tonnes d’ici 2025. Le nickel confirme également son potentiel avec 1,85 million de tonnes de latérite nickélifère exportées en 2022, soit environ 20 000 tonnes de nickel métal contenu, faisant de la Côte d’Ivoire le premier producteur d’Afrique subsaharienne hors Afrique du Sud.

Un impact économique croissant

Cette montée en puissance se traduit par des retombées économiques substantielles. La valeur du secteur minier (hors hydrocarbures) a été estimée à 1 269 milliards de FCFA en 2022, contre 302 milliards en 2010. Les recettes fiscales minières directes ont atteint environ 250 milliards de FCFA en 2022, reflétant principalement la contribution de l’or.

Chaque nouvelle mine représente des investissements considérables – 128 milliards de FCFA pour Tietto à Zoukougbeu par exemple – et génère un effet d’entraînement sur l’économie locale à travers le BTP, la sous-traitance et le transport. Si l’emploi direct reste limité avec environ 7 000 emplois formels dans les mines, le multiplicateur économique via les emplois indirects et les services autour des sites miniers s’avère significatif.

Des défis sociaux et environnementaux à relever

Cette expansion ne va pas sans défis. La cohabitation avec les communautés locales nécessite un dialogue permanent. Le Code minier de 2014 impose la création de Comités de Développement Local Minier (CDLM), alimentés par une contribution financière des compagnies (généralement 0,5% du chiffre d’affaires) pour financer des projets sociaux : forages d’eau, écoles, dispensaires, routes villageoises.

Malgré ces dispositifs, des tensions persistent sur l’accès à la terre, l’indemnisation des propriétaires terriens et les impacts environnementaux. L’exploitation artisanale illégale, notamment l’orpaillage clandestin, pose également des problèmes de sécurité, de santé publique et de travail des enfants.

Sur le plan environnemental, les autorités renforcent progressivement les exigences : plans de gestion environnementale obligatoires, constitution de cautions financières pour la réhabilitation des sites, monitoring strict des barrages à résidus. La révision du Code minier en cours d’étude pourrait encore durcir les normes en matière de transparence et de protection environnementale.

Un cadre juridique attractif en évolution

Le succès du secteur s’appuie sur un cadre réglementaire attractif. Le Code minier de 2014 a réduit les taux de redevance (3 à 5% pour l’or selon les cours) et offre des exonérations fiscales sur cinq ans pour les nouvelles mines. En contrepartie, les compagnies doivent respecter des obligations strictes : contribution au développement local, travaux d’exploration minimum, préférence aux entreprises ivoiriennes pour la sous-traitance.

L’État conserve une participation stratégique avec généralement 10% de participation gratuite via SODEMI et la possibilité d’acquérir 5% supplémentaires sur une base contributive. Cette approche vise à équilibrer les intérêts entre investisseurs étrangers et nationaux.

L’ambition de la transformation locale

L’enjeu majeur réside désormais dans la montée en valeur ajoutée. Plutôt que d’exporter exclusivement les minerais bruts, les autorités encouragent la transformation locale. Des projets d’usines d’enrichissement du nickel et de production d’alliages ferromanganèse sont à l’étude, susceptibles de créer des emplois qualifiés et d’augmenter les recettes d’exportation.

Cette stratégie s’inscrit dans une vision plus large de diversification économique, où le secteur minier pourrait devenir un pilier de développement au même titre que l’agriculture de rente. Avec une gouvernance transparente et une gestion prudente des ressources, la Côte d’Ivoire dispose des atouts pour transformer cet essai minier en réussite durable, évitant les écueils de la “malédiction des ressources” qui ont frappé d’autres pays du continent.

Le défi consiste maintenant à maintenir cet équilibre délicat entre attractivité pour les investisseurs internationaux, préservation de l’environnement et redistribution équitable des bénéfices au profit des populations locales.


En savoir plus sur businessechos.net

Subscribe to get the latest posts sent to your email.