En l’espace de quelques décennies, l’Afrique de l’Ouest a révolutionné le marché mondial de l’anacarde. Avec plus de 60% de la production mondiale et des pays comme la Côte d’Ivoire qui dominent désormais ce secteur avec 1,2 million de tonnes produites en 2023, le continent s’impose comme l’épicentre de cette filière stratégique. Mais au-delà des chiffres impressionnants, c’est une véritable transformation industrielle qui se dessine, portée par une ambition nouvelle : capturer davantage de valeur ajoutée et créer des emplois durables.
Une production record mais une transformation encore limitée
L’explosion de la production africaine de cajou est indéniable. Les industriels ivoiriens ont traité 344 000 tonnes de noix de cajou en 2024, un record qui conforte la place de la Côte d’Ivoire comme 3e transformateur mondial, derrière le Vietnam et l’Inde. Cette performance remarquable s’inscrit dans une dynamique régionale où la demande mondiale progresse de 7 à 10% par an.
Pourtant, le paradoxe persiste : moins de 10% de la récolte africaine est transformée localement. Le reste part vers l’Asie sous forme de noix brutes, privant le continent d’une manne considérable. Cette situation explique pourquoi des pays producteurs continuent d’importer leurs propres noix sous forme de produits finis, une aberration économique que les gouvernements tentent désormais de corriger.
Des stratégies nationales ambitieuses
La Côte d’Ivoire mène la charge avec une approche pragmatique. Pour faciliter l’approvisionnement des industriels, le gouvernement a mis en place une période exclusive dédiée aux transformateurs locaux, s’étendant du 24 janvier au 15 mars 2025. Cette mesure vise à garantir que les usines nationales s’approvisionnent en priorité avant l’ouverture du marché aux exportateurs.
L’objectif ivoirien est clair : transformer 50% de la production d’ici 2030. Pour y parvenir, le pays attire massivement les investisseurs. L’entreprise singapourienne Valency International a inauguré une installation d’un coût de 24 milliards FCFA avec une capacité de traitement de 45 000 tonnes de noix de cajou par an. Ces investissements se multiplient : en novembre 2024, la société émiratie Rosyson s’est engagée à investir 24 millions de dollars dans une nouvelle usine de 60 000 tonnes.
Le Bénin, quant à lui, a choisi la méthode forte. Depuis avril 2024, le gouvernement a interdit l’exportation de noix brute, afin de favoriser l’approvisionnement des unités industrielles nationales. Cette décision radicale vise à forcer la main des investisseurs et à créer un écosystème industriel national. Le pari semble fonctionner : l’entreprise Bénin Cashew SA a obtenu une facilité de 10 milliards de FCFA auprès de la Banque d’Investissement et de Développement de la CEDEAO pour cofinancer la construction de 5 usines de transformation.
Innovation et recherche au service de la productivité
La montée en puissance de la transformation s’accompagne d’efforts considérables en recherche et développement. Les programmes d’amélioration variétale permettent déjà des gains substantiels : le Ghana affiche les meilleurs rendements d’Afrique de l’Ouest avec 900 kg/ha en moyenne, contre 400-500 kg/ha dans les vergers traditionnels.
L’agroécologie devient également une priorité. Les anacardiers, bien que robustes, subissent les effets du changement climatique. Les chercheurs développent des itinéraires techniques innovants : gestion optimisée de l’eau, introduction de couverts végétaux, pratiques agroforestières. Ces approches permettent d’allier productivité et durabilité environnementale.
Valorisation des co-produits : l’économie circulaire en marche
Une révolution silencieuse s’opère dans la valorisation des co-produits. La coque, qui représente 70% du poids du fruit, était autrefois considérée comme un déchet. Elle devient aujourd’hui une source d’énergie et de matières premières industrielles grâce à l’extraction de l’huile CNSL, utilisée dans la fabrication de résines et de bio-pesticides.
La pomme de cajou connaît un engouement similaire. Au Bénin, la production de jus de pomme de cajou a atteint 110 000 litres en 2023, ouvrant la voie à une industrie agroalimentaire complémentaire. Cette économie circulaire transforme d’anciens déchets en sources de revenus additionnels pour les producteurs.
L’emploi au cœur de la transformation
L’impact social de cette industrialisation est considérable. Plus d’une trentaine d’usines de transformation ont été inaugurées en 2024, créant plus de 15 000 emplois directs, dont 70% occupés par des femmes. Cette féminisation de l’emploi industriel dans des zones souvent rurales constitue un facteur d’émancipation économique important.
La formation professionnelle devient cruciale pour accompagner cette montée en compétences. Des programmes de “master trainers” se développent, formant à leur tour des agriculteurs aux bonnes pratiques et des techniciens pour les unités industrielles.
Défis et perspectives d’avenir
Malgré ces avancées, des obstacles persistent. Le financement de la recherche reste insuffisant, la volatilité des cours internationaux fragilise les revenus paysans, et la formation de la main-d’œuvre nécessite des investissements soutenus. La coordination régionale, via l’Alliance africaine du cajou, devient essentielle pour harmoniser les normes et négocier de meilleurs accès aux marchés.
L’enjeu est désormais de consolider cette dynamique. La production de la campagne 2025 est projetée à 1 150 000 tonnes pour la Côte d’Ivoire, représentant une augmentation de 20% par rapport à 2024. Cette croissance doit s’accompagner d’un développement industriel proportionnel pour éviter la saturation des capacités de transformation.
Vers une “Silicon Valley” de l’anacarde
L’Afrique de l’Ouest dessine les contours d’un avenir où elle ne serait plus seulement le grenier à noix brutes du monde, mais un hub industriel sophistiqué. Entre recherche agronomique, innovation industrielle et économie circulaire, tous les ingrédients semblent réunis pour transformer l’essai.
Cette révolution de l’anacarde illustre une ambition plus large : celle d’une Afrique qui reprend le contrôle de ses chaînes de valeur agricoles. Si les défis restent nombreux, la mobilisation actuelle – gouvernements, secteur privé, coopération internationale – laisse entrevoir l’émergence d’une véritable souveraineté agro-industrielle. L’anacarde pourrait bien devenir le symbole de cette renaissance économique africaine.
En savoir plus sur businessechos.net
Subscribe to get the latest posts sent to your email.