L’écosystème des startups ouest-africaines traverse une crise sans précédent. Depuis le 1er mai, la Banque Centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) a brutalement suspendu les activités de paiement de nombreuses fintechs opérant sans agrément officiel dans la zone UMOA. Cette décision, appliquée sans période transitoire supplémentaire, paralyse l’économie numérique régionale et menace des années de progrès en matière d’inclusion financière.
Une application stricte qui secoue tout un secteur
Le couperet est tombé le 1er mai à 21 heures, lorsque la BCEAO a ordonné l’arrêt immédiat des services de paiement fournis par les établissements non agréés. Cette mesure s’inscrit dans le cadre de l’Instruction n°001-01-2024, visant à renforcer l’encadrement réglementaire du secteur des paiements dans l’Union Monétaire Ouest-Africaine.
Si les autorités avaient accordé une période transitoire de 15 mois aux entreprises pour se conformer aux nouvelles exigences, de nombreuses fintechs n’ont pas pu obtenir leur agrément dans les délais impartis. Pour beaucoup, ce retard s’explique par la lenteur des procédures administratives plutôt que par un manque de volonté.
“Nous avons déposé notre dossier il y a plus de huit mois et nous attendons toujours une réponse”, confie un opérateur qui préfère garder l’anonymat. “Pendant ce temps, nos utilisateurs se retrouvent privés d’un service essentiel à leur quotidien.”
Des exigences réglementaires considérables
L’instruction n°001-01-2024 de la BCEAO impose des conditions strictes aux établissements de paiement. Parmi les principales exigences figurent :
- Un capital minimum variant de 10 à 100 millions de FCFA selon la nature des services proposés
- L’obligation d’adopter une structure juridique spécifique et de maintenir une présence physique dans un pays membre de l’UMOA
- Des normes rigoureuses en matière de gouvernance, de gestion des risques et de conformité
- L’hébergement local des données et l’obligation de signaler tout incident majeur dans un délai de 72 heures
Ces mesures visent à garantir la sécurité et la fiabilité des services financiers numériques, mais leur mise en œuvre abrupte soulève des inquiétudes quant à l’avenir de l’innovation dans la région.
Un impact économique considérable
Les conséquences de cette suspension dépassent largement le cadre des entreprises directement concernées. Des milliards de FCFA en transactions sont actuellement bloqués, perturbant profondément les activités commerciales dans toute la région.
L’économie informelle, qui représente près de 80% de l’activité économique dans certains pays de la zone et qui dépend fortement des solutions de paiement mobile, est particulièrement touchée. Des millions de commerçants, d’artisans et de petits entrepreneurs voient leurs revenus quotidiens compromis.
“Cette décision menace des années de progrès en matière d’inclusion financière”, souligne un expert du secteur. “Les populations non bancarisées qui avaient enfin accès à des services financiers grâce aux fintechs se retrouvent à nouveau exclues du système.”
Un appel à une approche plus progressive
Face à cette situation, de nombreuses voix s’élèvent pour demander à la BCEAO d’adopter une approche plus nuancée et progressive. Si la nécessité d’un cadre réglementaire solide est unanimement reconnue, la méthode employée fait l’objet de vives critiques.
La BCEAO n’a pas encore communiqué officiellement sur les raisons de cette suspension soudaine ni sur d’éventuelles mesures d’accompagnement pour les entreprises et utilisateurs affectés. Cette absence de communication accentue l’incertitude et la méfiance envers les autorités de régulation.
Pour sortir de cette impasse, un dialogue constructif entre la banque centrale, les fintechs et les autres parties prenantes apparaît indispensable. La mise en place d’un plan de transition clair, avec des étapes intermédiaires bien définies, permettrait de concilier les impératifs de régulation avec la préservation de l’écosystème d’innovation financière.
Entre régulation et innovation : trouver l’équilibre
Cette crise met en lumière le défi permanent auquel font face les régulateurs financiers : comment encadrer efficacement un secteur en rapide évolution sans étouffer l’innovation qui le caractérise?
Si la protection des consommateurs et la stabilité du système financier doivent demeurer des priorités absolues, une régulation trop rigide ou mal calibrée risque d’avoir des effets contre-productifs. Elle pourrait notamment pousser certains acteurs vers l’informalité ou freiner l’émergence de solutions adaptées aux besoins spécifiques des marchés africains.
L’avenir du secteur fintech ouest-africain dépendra largement de la capacité des différentes parties prenantes à établir un cadre réglementaire équilibré, qui protège les usagers tout en encourageant l’innovation. C’est à cette condition que la région pourra tirer pleinement parti du potentiel transformateur des technologies financières pour son développement économique et social.
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