Après 3 918 jours à la tête d’ANKA, Moulaye Tabouré vient de céder sa plateforme au groupe américain Global Shop Group. Un aboutissement qui couronne une décennie d’efforts pour faire rayonner le Made in Africa à l’international. Portrait d’un entrepreneur visionnaire qui a bousculé les codes du e-commerce africain.
Des télécoms à l’entrepreneuriat tech
Né en 1988 d’une mère malienne et d’un père français, Moulaye Tabouré grandit entre le Mali et la Côte d’Ivoire avant de rejoindre la France pour ses études supérieures. Diplômé d’un master en management à l’Université Paris-Dauphine, il entame une carrière prometteuse dans les télécoms et le conseil, passant par Orange Mali dès 2008, puis par des mastodontes comme IBM, SFR et PwC.
À 25 ans, alors que tout lui sourit dans le monde du conseil, Tabouré fait le choix radical de quitter cette voie toute tracée. En 2013, il décide de créer sa propre startup avec deux associés. L’idée qui germe dans son esprit est à la fois simple et ambitieuse : offrir aux créateurs africains une vitrine mondiale pour commercialiser leurs produits artisanaux et leurs créations mode.
C’est ainsi que naît Afrikrea en 2016, implantée à Abidjan. Le choix de la Côte d’Ivoire n’est pas anodin : hub économique dynamique d’Afrique de l’Ouest, le pays incarne aussi la double appartenance de Tabouré au Mali et à la Côte d’Ivoire. Un attachement qu’il officialisera en 2023 en obtenant la nationalité ivoirienne.
De la marketplace à l’écosystème intégré
La proposition de valeur d’Afrikrea est révolutionnaire pour l’époque : fournir aux artisans et créateurs africains des solutions clés en main pour vendre en ligne à l’international. Site de vente, facilitation des paiements, logistique simplifiée – tout est pensé pour abolir les barrières qui empêchaient jusqu’alors les talents africains d’accéder au marché mondial.
Les résultats dépassent rapidement les espérances. De 200 vendeurs au départ, la plateforme en compte bientôt plus de 15 000, répartis dans une centaine de pays dont 46 pays africains. Le volume cumulé des transactions franchit la barre des 40 millions d’euros, puis dépasse 60 millions de dollars. La communauté Afrikrea fédère plus d’un million de followers sur les réseaux sociaux.
Au-delà des chiffres, ce sont les histoires individuelles qui révèlent l’impact réel de la plateforme. Plus de la moitié des vendeurs ont réalisé leur première vente internationale grâce à ANKA. Parmi les success stories figure Keerah’s Fashion Cave, une créatrice nigériane mise en lumière par la BBC, qui a exporté pour plus d’un demi-million de dollars de robes de bal vers les États-Unis via la plateforme en quelques mois seulement.
Une mutation stratégique payante
En 2021, Afrikrea opère un virage stratégique majeur en devenant ANKA – un nom qui signifie “le nôtre” en bambara et dioula. Au-delà du changement d’identité, c’est toute l’architecture de la plateforme qui évolue. De simple marketplace, ANKA se transforme en écosystème complet intégrant trois piliers : la marketplace Afrikrea.com, un service de livraison internationale (ANKA Shipping en partenariat avec DHL) et une solution de paiement dédiée (ANKA Pay).
Cette mutation permet aux entrepreneurs africains de gérer l’intégralité de leur activité e-commerce depuis une seule interface : vendre, expédier, encaisser. L’ambition n’est plus seulement de connecter des acheteurs et des vendeurs, mais de fournir une infrastructure technologique complète au service de l’économie créative africaine.
Pour financer cette transformation, Tabouré réussit à convaincre des investisseurs de premier plan. Partech Ventures injecte 3 millions d’euros dès 2016. Suivront l’IFC (Banque mondiale), Proparco et Bpifrance. Au total, ANKA lève plus de 13 millions de dollars, témoignant de la confiance des bailleurs internationaux dans son modèle. L’équipe s’internationalise, comptant désormais des talents de 14 nationalités opérant à distance sur 5 continents.
Une vision qui dépasse le commerce
Ce qui distingue Moulaye Tabouré de beaucoup d’entrepreneurs tech africains, c’est sa vision philosophique du numérique. Pour lui, la technologie doit servir à promouvoir la culture africaine, cette “richesse illimitée, enviée et acceptée mondialement, que posséderont toujours les Africains”, contrairement aux ressources naturelles vendues et contrôlées par d’autres.
Tabouré se méfie des discours convenus sur l’inclusion financière ou les volumes de transactions. À ses yeux, ces notions restent creuses sans création de valeur à grande échelle et sans distribution mondiale des produits africains. Sa philosophie : permettre aux créateurs du continent de “produire, vendre et construire pour le monde”, plutôt que de simplement stimuler la consommation locale.
Cette approche a porté ses fruits. ANKA revendique avoir contribué à générer plus de 10 000 emplois à travers 46 pays d’Afrique. La plateforme a permis à des milliers d’artisans – majoritairement des femmes – d’accéder à des clients internationaux et de professionnaliser leur activité.
Un nouveau chapitre commence
Le rachat d’ANKA par Global Shop Group, annoncé le 21 octobre, marque la fin d’une époque mais aussi le début d’une nouvelle aventure. La PDG de Global Shop, Matilda Ceesay, s’est engagée à préserver l’équipe, la culture d’entreprise et l’autonomie opérationnelle d’ANKA tout en accélérant son expansion internationale.
Pour Tabouré, ce rachat représente l’opportunité de passer le flambeau tout en multipliant l’impact de sa vision. Libéré de ses fonctions de CEO, il a déjà laissé entendre sur les réseaux sociaux qu’il reviendrait “sans doute servir les entrepreneurs africains, connecter la diaspora à nos produits” et continuer à bâtir l’avenir du continent.
Son parcours incarne une promesse : celle d’un commerce mondial plus inclusif où les créateurs africains trouvent leur place et prospèrent. En moins de dix ans, ce fils de deux continents a démontré qu’il était possible de bâtir des champions technologiques depuis l’Afrique, ouvrant la voie à toute une génération d’entrepreneurs rêvant de conquérir le monde sans renier leurs racines.
L’aventure Afrikrea/ANKA entame un nouveau chapitre, mais l’héritage de Moulaye Tabouré continuera longtemps d’inspirer ceux qui croient au potentiel infini de la créativité africaine.
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