René Yédiéti : L’entrepreneur qui a sauvé l’âme culturelle de la Côte d’Ivoire

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Président directeur général de la Librairie de France Groupe depuis 2005, René Yédiéti incarne une nouvelle génération d’entrepreneurs ivoiriens alliant réussite économique et impact social. Portrait d’un homme qui a transformé une entreprise sinistrée en champion national de la diffusion du savoir.

Dans le panthéon des entrepreneurs ivoiriens, René Yédiéti occupe une place singulière. Cet homme discret, formé à la finance internationale, a accompli ce que beaucoup jugeaient impossible : sauver de la faillite la Librairie de France, institution culturelle emblématique du pays, et la transformer en un groupe diversifié leader de son secteur. Son parcours illustre parfaitement les défis et opportunités de l’entrepreneuriat en Côte d’Ivoire, tout en démontrant qu’excellence économique et responsabilité sociale peuvent aller de pair.

Un financier devenu sauveur d’entreprise

L’histoire de René Yédiéti avec la Librairie de France commence par un concours de circonstances dramatiques. Diplômé en gestion avec une spécialisation en finance, ce natif de Côte d’Ivoire avait entamé sa carrière dans les années 1990 au prestigieux cabinet Ernst & Young, avec des passages formateurs à Londres puis Paris. De retour au pays, il occupait des postes de direction financière, d’abord dans l’industrie du bois à Man, puis au sein de Laborex-CI, filiale du groupe Pharmafinance.

En novembre 2004, la crise politico-militaire frappe durement le secteur privé ivoirien. La Librairie de France, fondée en 1938 et propriété de Pharmafinance depuis 1997, voit 17 de ses 25 magasins pillés et détruits en une seule journée. L’entreprise historique, qui employait alors 3 000 personnes, se retrouve exsangue, ses effectifs réduits à 150 salariés, et ses actionnaires décident de la céder.

Initialement chargé d’une mission de redressement puis de liquidation, René Yédiéti se retrouve confronté à l’absence de repreneurs sérieux, malgré des démarches jusqu’en Europe, notamment auprès de l’éditeur Hachette. Convaincu du potentiel de cette librairie emblématique et déterminé à préserver un patrimoine culturel national, il prend une décision audacieuse début 2005 : s’associer avec d’autres investisseurs ivoiriens pour racheter l’entreprise.

Cette reprise constituait un pari particulièrement risqué. Du jour au lendemain, ce financier de formation se retrouvait à la tête de la plus grande chaîne de librairies du pays, avec pour mission de la sauver du naufrage. “Je me suis engagé dans la librairie et suis resté pour la passion du livre, mais avec une approche de financier pour la pérenniser”, confiera-t-il plus tard, résumant parfaitement l’alliage de passion et de pragmatisme qui caractérise son approche.

L’architecte d’un groupe diversifié

Loin de se contenter de maintenir l’existant, René Yédiéti a restructuré l’entreprise qui renaît sous l’appellation Librairie de France Groupe. Cette nouvelle entité s’articule autour de trois enseignes complémentaires : la Librairie de France elle-même, spécialisée dans les livres et la papeterie, Barnoin Informatique pour les solutions et l’intégration en technologies de l’information, et Burotop pour la distribution de matériel et fournitures informatiques.

Cette diversification répond à un défi structurel majeur du secteur : la forte saisonnalité des ventes de livres, concentrées sur la période de rentrée scolaire. En élargissant l’offre aux équipements informatiques et aux services aux entreprises, tout en conservant le cœur culturel de l’enseigne, René Yédiéti a su créer un modèle économique résilient.

Les résultats de cette stratégie ne se sont pas fait attendre. En 2016, la Librairie de France Groupe s’impose comme la plus importante entreprise de distribution des instruments du savoir en Afrique noire francophone, avec 9 points de vente en Côte d’Ivoire et un site de vente en ligne. Cette performance a d’ailleurs valu à René Yédiéti d’être sacré “meilleur entrepreneur culturel” lors des trophées Bâtisseurs de l’économie africaine la même année.

Contre toute attente, il a également osé étendre le réseau hors d’Abidjan, ouvrant des magasins à Yamoussoukro, Bouaké, San-Pédro et Daloa à une époque où beaucoup d’entreprises se repliaient sur la capitale économique. Ce choix, loin d’obéir à la seule rentabilité, illustre sa conception d’un entrepreneuriat au service du développement territorial.

Un leader sectoriel engagé

L’influence de René Yédiéti dépasse largement les frontières de son entreprise. Président de l’Association des libraires de Côte d’Ivoire, il œuvre à structurer et dynamiser l’ensemble du secteur. Son expertise est également reconnue au niveau international, puisqu’il siège comme administrateur à l’Association internationale des libraires francophones, contribuant à des initiatives panafricaines pour la promotion de la lecture.

Entrepreneur polyvalent, il a également tenté une incursion dans le secteur des médias en fondant en 2015 TNTSAT Africa Côte d’Ivoire pour capter une part du marché naissant de la télévision numérique terrestre. Il s’implique par ailleurs dans la finance digitale, présidant le conseil d’administration d’une fintech ivoirienne de microfinance visant une expansion en Afrique de l’Ouest.

Cette multiplicité de rôles fait de René Yédiéti un acteur central de l’écosystème entrepreneurial ivoirien, régulièrement sollicité comme mentor auprès de startups locales ou intervenant lors de forums économiques.

Un philanthrope de l’éducation

Au-delà de la réussite économique, René Yédiéti s’est révélé un homme de convictions profondément engagé pour l’éducation. En 2006, il crée la Fondation La Rentrée du Cœur, dédiée à la scolarisation des enfants défavorisés. Cette structure a déjà distribué plus de 200 000 kits scolaires à travers le pays et financé la construction d’écoles dans des villages reculés comme Klotiakaha et Sakouor, ainsi que des centres communautaires à Bingerville et Méagui.

Son engagement pour la diffusion du savoir s’exprime également à travers des initiatives sectorielles. En 2023, il a été partie prenante du lancement de la caravane nationale du livre et de la lecture, organisée en collaboration avec l’Association internationale des libraires francophones et le ministère de la Culture. Cette initiative vise à apporter des bibliothèques éphémères et des animations littéraires dans plusieurs régions du pays.

Lors de cet événement, René Yédiéti a plaidé avec ferveur pour une politique publique de lecture plus ambitieuse : “Encourageons nos concitoyens à se réapproprier le livre et veillons à ce que, dans nos communes et nos écoles, le livre soit accessible via des bibliothèques”. Il exhorte les autorités à faire de la Côte d’Ivoire “un pays du livre, un pays où l’on lit et où, culturellement, nous émergeons”.

La résilience face aux défis

Le parcours de René Yédiéti n’a pas été exempt d’obstacles. Outre le défi initial de la reprise d’une entreprise sinistrée, il a dû composer avec l’évolution des usages liée à l’essor du numérique, la piraterie de livres scolaires, et les contraintes structurelles du marché ivoirien. Les retards de paiements de l’État, principal client pour les manuels scolaires, constituent un défi récurrent qu’il a publiquement dénoncé, appelant les pouvoirs publics à soutenir davantage le secteur du livre.

Chaque épreuve a renforcé sa détermination et affiné sa stratégie. “Il faut savoir s’adapter en permanence, innover et garder le cap sur nos valeurs”, répète-t-il volontiers. Cette philosophie lui a valu la reconnaissance de ses pairs : en 2019, il a été élu “meilleur entrepreneur de l’année” par ses confrères du patronat ivoirien, qui ont salué “sa capacité à innover et à redresser une entreprise que l’on croyait en voie de disparition” ainsi que ses “valeurs morales dans le management”.

Un modèle d’entrepreneuriat citoyen

René Yédiéti incarne une nouvelle génération d’entrepreneurs africains pour qui impact social et réussite économique vont de pair. Contrairement à d’autres qui ont pu s’expatrier ou céder leurs entreprises à des multinationales, il a fait le choix de garder son groupe ivoirien et de le développer avec des capitaux locaux, tout en nouant des partenariats internationaux intelligents.

Son leadership discret mais structurant fédère des énergies dans l’ombre, que ce soit au sein d’associations professionnelles, de fondations ou de conseils d’administration. Il privilégie l’efficacité sur le terrain et l’action de fond sur le long terme, plutôt que la recherche de la gloire personnelle.

“Il faut servir les instruments du savoir pour préparer la relève d’une jeunesse cultivée et formée pour relever les défis du développement de la Côte d’Ivoire et de l’Afrique”, aime-t-il rappeler. Cette maxime traduit parfaitement les valeurs qu’il porte : donner à la jeunesse les moyens de construire l’avenir du continent.

Vers de nouveaux horizons

Fort de ses succès nationaux, René Yédiéti nourrit désormais des ambitions continentales. Son engagement au sein de l’Association internationale des libraires francophones et les récompenses panafricaines qu’il a reçues témoignent de cette vision élargie. Il travaille à des projets d’extension de la Librairie de France Groupe dans la sous-région et accompagne la croissance de startups technologiques africaines avec la même passion pédagogique.

Son incursion dans la microfinance digitale vise à faciliter le financement de micro-entrepreneurs en Afrique de l’Ouest, preuve de sa volonté d’essaimer des solutions “made in Côte d’Ivoire” pour le continent.

À l’heure où la Côte d’Ivoire mise sur ses champions locaux pour porter son développement, René Yédiéti incarne un exemple lumineux de leadership entreprenant et engagé. Son histoire n’est pas seulement celle d’un homme, mais celle d’une vision : celle d’une Afrique qui se construit par le savoir, l’innovation et le partage. Une histoire qui, assurément, est loin d’être terminée.


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