BAD : la nouvelle donne Sidi Ould Tah redessine l’avenir financier africain

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L’élection triomphale du Mauritanien Sidi Ould Tah à la présidence de la Banque africaine de développement marque un tournant stratégique pour l’institution panafricaine. Entre défis financiers majeurs et ambitions continentales, cette transition ouvre une nouvelle ère dont la Côte d’Ivoire, pays hôte, entend tirer tous les bénéfices.

Une élection historique dans un contexte financier tendu

Le 29 mai 2025, lors des réunions annuelles de la BAD à Abidjan, Sidi Ould Tah a remporté une victoire écrasante avec 76,18% des voix au terme de trois tours de scrutin. Cette élection, la plus large de l’histoire de l’institution, lui confère une légitimité exceptionnelle pour affronter les défis qui l’attendent.

Car le nouveau président prend ses fonctions dans un environnement particulièrement difficile. La BAD fait face à un retrait financier majeur avec la réduction de 555 millions de dollars du soutien américain via le Fonds africain de développement. Cette amputation budgétaire intervient alors que les besoins de financement du continent explosent, avec un déficit estimé à plus de 400 milliards de dollars par an pour accompagner la transformation structurelle de l’Afrique.

L’institution vise désormais à lever 25 milliards de dollars lors de sa prochaine reconstitution de fonds, un objectif ambitieux qui nécessitera toute l’expertise diplomatique et financière du nouveau dirigeant. Cette situation contraint la BAD à repenser ses modèles de financement et à diversifier ses sources de revenus pour maintenir son impact continental.

La “Tah Doctrine” : pragmatisme et efficacité opérationnelle

L’arrivée de Sidi Ould Tah à la tête de la BAD ne se résume pas à un simple changement de personnel. Elle inaugure ce que certains analystes qualifient déjà de “Tah Doctrine” : une approche résolument axée sur l’exécution et le rendement plutôt que sur les déclarations d’intention.

Cette philosophie managériale, forgée durant sa décennie à la tête de la BADEA où il a multiplié par quatre les financements annuels, privilégie l’efficacité opérationnelle à la bureaucratie traditionnelle. Le nouveau président entend mobiliser davantage de capitaux, notamment privés, en attirant des contributions des pays du Golfe, de la Chine et des États africains eux-mêmes.

Son programme se structure autour de trois axes stratégiques. D’abord, réformer les systèmes financiers pour soutenir le secteur informel, qui emploie près de 83% des Africains et reste largement exclu du système bancaire traditionnel. Ensuite, investir massivement dans les infrastructures résilientes face aux aléas climatiques et aux contraintes de surendettement. Enfin, renforcer l’autonomie économique continentale via une coopération intra-africaine renforcée.

Des opportunités stratégiques pour la Côte d’Ivoire

En tant que pays hôte de la BAD depuis 2014, la Côte d’Ivoire bénéficie d’une position privilégiée pour tirer parti de cette transition institutionnelle. Abidjan voit son statut de vitrine diplomatique et économique renforcé par l’arrivée du nouveau président, tant symboliquement que stratégiquement.

Les orientations de Sidi Ould Tah vers le soutien aux infrastructures, aux PME et aux projets verts s’alignent parfaitement avec les ambitions de développement ivoiriennes. Cette convergence facilite l’accélération des projets structurants nationaux dans les transports, l’énergie et l’urbanisme, secteurs prioritaires du Plan national de développement.

L’expérience du nouveau président en matière de mobilisation de capitaux privés renforce l’espoir d’une plus grande utilisation d’instruments hybrides de financement. Cette approche pourrait bénéficier aux entreprises ivoiriennes en quête de financements innovants, particulièrement dans les secteurs émergents et les projets à forte composante environnementale.

La Côte d’Ivoire dispose également d’un privilège diplomatique unique : en tant que pays hôte et principal bénéficiaire des prêts de la BAD, elle peut influencer les orientations de l’institution dans le sens de ses intérêts stratégiques nationaux. Cette position lui confère un rôle de lobby et de facilitateur évident dans les négociations continentales.

Un hub régional aux ambitions continentales

Avec la BAD à sa porte, Abidjan peut accentuer son attractivité économique et se positionner comme centre financier de référence pour l’Afrique francophone et au-delà. Cette proximité institutionnelle constitue un atout concurrentiel majeur face aux autres places financières africaines.

Le renforcement du statut de hub régional d’Abidjan s’accompagne d’opportunités concrètes d’attraction d’investissements. La présence du siège de la BAD facilite les contacts avec les bailleurs internationaux, les fonds d’investissement et les institutions financières de développement, créant un écosystème financier dynamique.

Cette dynamique pourrait également stimuler le développement de services financiers spécialisés – conseil en financement de projet, expertise en développement durable, ingénierie financière – positionnant la Côte d’Ivoire comme une plateforme de services pour l’ensemble du continent.

Des défis structurels à surmonter

Malgré ces opportunités, le nouveau président de la BAD doit affronter des défis considérables qui conditionnent le succès de son mandat. Le financement insuffisant et la perte de soutiens externes obligent l’institution à repenser fondamentalement son modèle économique.

La confiance des États membres constitue un enjeu critique. Il faut maintenir l’engagement des pays africains tout en incitant les membres non régionaux à renforcer leur contribution, exercice diplomatique délicat dans un contexte géopolitique tendu.

Le respect du mandat “High-5” hérité de son prédécesseur – électrification, industrialisation, intégration régionale, amélioration des conditions de vie et sécurité alimentaire – représente un défi opérationnel majeur en dépit des contraintes budgétaires accrues.

L’adaptation géopolitique constitue un autre enjeu de taille. La BAD doit gérer les implications des crises globales – énergie, inflation, instabilité politique – sur ses priorités de financement, tout en préservant sa neutralité institutionnelle.

Vers une architecture financière africaine renouvelée

L’arrivée de Sidi Ould Tah coïncide avec une période de recomposition de l’architecture financière internationale. L’Afrique cherche à gagner en autonomie face aux bailleurs traditionnels, une ambition qui nécessite des institutions continentales robustes et innovantes.

Le nouveau président mise sur la création d’un Mécanisme africain de stabilité financière pour doter le continent d’outils de prévention des crises de dette souveraine. Cette initiative, soutenue par l’Union africaine, pourrait constituer une pièce maîtresse de l’indépendance financière africaine.

La mobilisation accrue de l’épargne locale et le développement de marchés financiers continentaux figurent également au programme. Ces orientations s’inscrivent dans une logique de souveraineté économique qui dépasse le simple financement de projets pour viser une transformation structurelle des économies africaines.

Un tournant décisif pour le développement continental

L’investiture de Sidi Ould Tah le 1er septembre 2025 marque plus qu’un simple changement de leadership : elle inaugure une nouvelle approche du financement du développement africain. Son large soutien continental, son style pragmatique et son expérience opérationnelle créent une dynamique favorable pour relever les défis à venir.

Pour la Côte d’Ivoire, cette transition représente une opportunité historique de renforcer son statut régional tout en bénéficiant d’un accès privilégié aux financements continentaux. Le succès de cette stratégie dépendra de la capacité du pays à combiner diplomatie proactive, alignement de projets structurants et participation soutenue au tournant stratégique de la BAD.

L’enjeu dépasse le cadre national : il s’agit de participer à la construction d’une nouvelle architecture financière africaine, plus autonome et mieux adaptée aux défis du 21e siècle. Sidi Ould Tah dispose de cinq ans pour transformer cette ambition en réalité tangible.


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