De colonel à capitaine d’industrie, Yao Touré Albert incarne cette nouvelle génération d’entrepreneurs ivoiriens qui transforment les défis locaux en opportunités industrielles. En moins d’une décennie, cet ancien officier supérieur a créé deux entreprises innovantes dans des secteurs stratégiques : le caoutchouc et le karité.
En avril 2024, lors d’une conférence de l’Alliance Globale du Karité à Paris, Yao Touré Albert et sa fille Melissa ont présenté un projet inédit qui a fait sensation : l’ouverture de la première usine de transformation du karité en beurre de Côte d’Ivoire. Basée à Napié, dans le nord du pays, cette unité baptisée SOKARCI triturat jusqu’à 200 tonnes d’amandes de karité par jour pour produire environ 90 tonnes de beurre.
Ce pari audacieux de diversifier du caoutchouc au karité illustre parfaitement la vision stratégique de cet entrepreneur atypique, devenu en quelques années une figure montante de l’écosystème entrepreneurial ivoirien.
Un parcours non conventionnel
Yao Touré Albert n’a pas emprunté un parcours entrepreneurial traditionnel. Avant de se lancer en affaires, il a mené une brillante carrière dans le secteur public et para-public. Officier supérieur de l’armée, il a atteint le grade de colonel-major avant de prendre sa retraite. Parallèlement, il s’est illustré dans le milieu sportif en présidant la Fédération ivoirienne de taekwondo, fort de son titre de maître 5e dan.
Il a également occupé des fonctions de direction dans l’administration publique, notamment comme directeur général de la Mutuelle Générale des Fonctionnaires de Côte d’Ivoire (MUGEF-CI), organisme de prévoyance sociale des agents de l’État.
Cette riche expérience en management et en discipline a façonné son sens du leadership. Au milieu des années 2010, alors que la Côte d’Ivoire connaît un essor de la production d’hévéa, Yao Touré Albert choisit de mettre à profit son expertise organisationnelle pour se lancer dans l’entrepreneuriat industriel.
MCK : Un premier succès dans le caoutchouc
En 2015, il concrétise son ambition en fondant la Manufacture de Caoutchouc de Kossihouen (MCK SA), dédiée à la transformation du latex d’hévéa en caoutchouc sec. Le projet, conçu dès 2009, aboutit à la construction d’une usine moderne qui voit véritablement le jour en mai 2016, soutenue financièrement par la Banque Nationale d’Investissement (BNI).
Implantée au km 45 de l’autoroute du Nord, près du village de Kossihouen, l’usine a été bâtie selon des normes de qualité élevées, avec l’appui de techniciens experts venus de Malaisie. La capacité initiale de production atteint 70 tonnes par jour de caoutchouc sec, une échelle significative pour un nouvel entrant sur ce marché.
MCK s’impose rapidement comme un acteur important du secteur en misant sur la qualité et l’exportation. L’entreprise transforme les fonds de tasses d’hévéa en caoutchouc technique standard TSR10, très prisé dans l’industrie du pneu. Grâce à son unité moderne, MCK produit un caoutchouc conforme aux standards internationaux et l’exporte en balles vers les fabricants mondiaux.
La stratégie porte ses fruits : MCK collabore avec le groupe thaïlandais Southland Global pour l’exportation et figure aujourd’hui parmi les grands exportateurs de balles de caoutchouc sec du pays. Depuis 2018, l’entreprise est certifiée ISO 9001:2015, certification renouvelée en 2021.
SOKARCI : L’innovation dans le karité
Fort de cette première réussite industrielle, Yao Touré Albert décide d’appliquer la même recette à une autre ressource : le karité. En 2023, avec sa fille Melissa, il co-fonde SOKARCI (Société de Karité de Côte d’Ivoire), la toute première usine de transformation du karité du pays.
Cette initiative répond à un double objectif : diversifier les activités du groupe familial et valoriser localement un produit jusqu’alors exporté majoritairement à l’état de noix brutes. Le choix du karité s’inscrit dans un contexte où le nord de la Côte d’Ivoire, riche en karité, ne disposait pas d’infrastructure industrielle pour en tirer du beurre à grande échelle.
L’usine, construite sur 8 hectares, a représenté un investissement d’environ 4 milliards FCFA (6 millions €). Elle a démarré avec 100 emplois directs et une montée en charge progressive : 50 tonnes par jour de broyage de noix de karité les premiers mois, puis un passage à pleine capacité (200 tonnes par jour) atteint en 2025.
Le modèle économique de SOKARCI consiste à s’approvisionner en amandes de karité auprès des coopératives de femmes locales et de certains pays voisins, puis à transformer ces amandes en beurre brut destiné principalement aux marchés des cosmétiques et de l’agro-alimentaire.
Un leadership familial et professionnel
À la tête de ses entreprises, Yao Touré Albert exerce un leadership empreint de rigueur et de vision stratégique. Son parcours de colonel et de gestionnaire public se reflète dans son style managérial : il prône la discipline, l’excellence opérationnelle et le respect des procédures.
MCK et SOKARCI sont des entreprises familiales dans l’âme, où la confiance et la transmission occupent une place centrale. Deux de ses enfants jouent des rôles-clés : Ursula Yao-Touré est directrice commerciale & Qualité-HSE de MCK, tandis que Melissa Yao-Touré occupe le poste de directrice générale adjointe de SOKARCI.
Cette gouvernance familiale n’empêche pas l’ouverture : Yao Touré s’est entouré de professionnels expérimentés extérieurs pour compléter l’équipe dirigeante. À SOKARCI par exemple, il a recruté un directeur général adjoint, Bertrand Holl, fort de 15 années d’expérience dans l’agro-industrie africaine.
Un impact économique et social significatif
En l’espace de quelques années, Yao Touré Albert a bâti un petit empire industriel dont l’impact se fait déjà sentir. MCK, créée en 2016 avec un capital social de 500 millions FCFA, emploie environ 178 personnes et fait partie du top des exportateurs ivoiriens de caoutchouc sec.
SOKARCI, qui a démarré avec 100 emplois directs, a produit 6 000 tonnes de beurre brut dès sa première année d’exploitation. Au-delà de l’emploi direct, l’impact local est considérable pour les femmes rurales : SOKARCI s’approvisionne via un réseau de coopératives féminines, générant des revenus accrus pour ces dernières.
Les deux entreprises combinées emploient aujourd’hui plus de 250 personnes en CDI, sans compter des centaines d’emplois induits. Yao Touré Albert contribue ainsi à la création de richesses locales, à la lutte contre le chômage des jeunes, et à la montée en compétence de la main d’œuvre ivoirienne dans l’industrie de transformation.
Des ambitions toujours plus grandes
Malgré ce parcours couronné de succès, Yao Touré Albert ne compte pas s’arrêter là. Pour MCK, l’enjeu des prochaines années sera d’augmenter la capacité de production et de diversifier la gamme de produits. L’entreprise pourrait envisager de produire des grades supérieurs de caoutchouc ou des produits dérivés.
Pour SOKARCI, les ambitions sont tout aussi élevées. Après la phase de rodage passée, l’usine envisage désormais l’exportation vers l’Europe, l’Asie ou l’Amérique du Nord. Yao Touré Albert prépare déjà l’étape suivante : la transformation fine du beurre en produits spécifiques (stéarine, oléine) prévue pour 2025-2026.
Le parcours de Yao Touré Albert démontre qu’avec de la vision, du leadership et un sens aigu de l’organisation, il est possible de transformer des défis locaux en opportunités industrielles. Son histoire met en lumière l’importance de la diversification, la valeur de la transformation locale pour accroître la richesse nationale, et le rôle clé du capital humain.
Aujourd’hui, cet entrepreneur incarne un entrepreneuriat ivoirien ambitieux et responsable, ancré dans le terroir mais tourné vers les standards internationaux. La conjugaison de l’expérience, de l’audace et du travail d’équipe peut mener à des réussites entrepreneuriales porteuses de progrès socio-économique pour tout un pays.
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