À 73 ans, le PDG de Tropical Rubber Côte d’Ivoire incarne une génération d’entrepreneurs qui ont su transformer les atouts naturels du pays en succès économiques durables. Retour sur le parcours exceptionnel d’un homme d’affaires qui a placé la qualité au cœur de sa stratégie.
Dans le paysage entrepreneurial ivoirien, certaines figures se détachent par leur capacité à allier vision stratégique et impact social. Joseph-Désiré Biley fait partie de ces personnalités qui ont marqué leur époque. Président-directeur général de Tropical Rubber Côte d’Ivoire (TRCI) depuis plus de deux décennies, cet homme de 73 ans a bâti un empire dans l’hévéaculture tout en contribuant activement au développement de l’écosystème entrepreneurial ivoirien.
De l’ESSEC aux plantations d’hévéa
Né le 3 août 1951 à Abidjan, Joseph-Désiré Biley grandit dans une Côte d’Ivoire en pleine mutation post-indépendance. Élève studieux, il décroche son baccalauréat scientifique en 1970 avant de s’envoler pour la France où il intègre l’École Supérieure des Sciences Économiques et Commerciales (ESSEC). Diplômé en 1975, il complète sa formation par un Diplôme d’Études Supérieures en droit privé, spécialisé en droit du travail et droit international des affaires.
Cette double compétence en management et en droit forge son approche rigoureuse des affaires. Fort de ces acquis, il entame la même année une carrière de 22 ans au sein du groupe Nestlé, passage déterminant qui l’amène à évoluer dans plusieurs pays : Côte d’Ivoire, Sénégal, Nigeria, Belgique, France et Suisse.
Chez Nestlé, Biley se distingue par des succès commerciaux remarquables. Il contribue notamment à l’exportation du café soluble ivoirien (Nescafé) vers plus de 50 pays, y compris en Europe de l’Est, et pilote le déploiement régional de produits emblématiques comme les bouillons Maggi dans toute l’Afrique de l’Ouest et du Centre. Cette expérience internationale lui révèle le potentiel des filières agricoles ivoiriennes sur le marché mondial.
Le tournant entrepreneurial
En 1996, alors qu’il évolue encore dans l’univers de la multinationale suisse, Biley cofonde l’Association pour la promotion des exportations de Côte d’Ivoire (APEX-CI), première manifestation concrète de sa fibre entrepreneuriale. L’année suivante, il franchit le pas : il quitte la sécurité de Nestlé pour prendre les rênes de Tropical Rubber Côte d’Ivoire (TRCI), une entreprise issue de la privatisation du secteur dans les années 1990.
Le défi est de taille. TRCI, née en 1995 d’un partenariat ivoiro-singapourien, doit moderniser le complexe agro-industriel d’Anguédédou, près d’Abidjan, et s’imposer sur un marché mondial exigeant. Sous l’impulsion de Biley, les résultats ne tardent pas : en cinq ans, la production annuelle de latex transformé est multipliée par cinq, passant d’environ 3 000 à 15 000 tonnes.
L’obsession de la qualité
Cette transformation spectaculaire repose sur une philosophie simple mais exigeante : l’excellence opérationnelle. TRCI investit massivement, notamment grâce à un financement de 2 milliards FCFA obtenu de la Société Financière Internationale (SFI) pour construire une usine moderne. Les efforts paient : l’entreprise décroche en 1999 et 2000 le “Merit Supplier Award” de Goodyear, la distinguant parmi les 10 meilleurs fournisseurs de caoutchouc naturel au monde.
En 2010, TRCI franchit un nouveau cap en devenant le premier producteur africain de caoutchouc certifié ISO 9001, gage de son excellence en matière de qualité. Cette obsession de la qualité n’est pas fortuite : Biley préside depuis 1992 le CODINORM, l’organisme chargé de la normalisation et de la certification en Côte d’Ivoire.
Aujourd’hui, TRCI affiche des chiffres éloquents : près de 1 800 employés, un chiffre d’affaires de 26,4 milliards FCFA en 2015, et 1 415 hectares de plantations propres. Chaque jour, l’entreprise traite en moyenne 120 à 140 tonnes de latex, transformées en granulés de caoutchouc naturel exportés vers les plus grands manufacturiers mondiaux : Bridgestone, Goodyear, Firestone, Continental.
“Le planteur d’abord, le planteur toujours”
Au-delà des performances industrielles, Biley développe un modèle économique inclusif. Sa devise, “Le planteur d’abord, le planteur toujours”, traduit une philosophie qui place l’humain au cœur de la stratégie. TRCI a mis en place 15 centres de collecte à travers le pays, une école de saignée du latex, et maintient des cours rémunérateurs pour les paysans.
Cette approche s’inscrit dans une vision plus large de développement des filières agricoles. Biley a contribué à la création du Fonds de Développement de l’Hévéa (FDH), qui vise à planter 600 000 hectares d’hévéa d’ici 2020, aménager des pistes rurales et professionnaliser la filière.
Un entrepreneur diversifié
Le succès de TRCI permet à Biley de diversifier ses activités. Il lance African Development Plantations Côte d’Ivoire (ADPCI), mobilisant 15 millions d’euros pour développer des plantations d’hévéa associées à d’autres cultures. À travers son holding familial SAGEFI, il investit dans l’immobilier haut de gamme avec l’immeuble Saint-Jacques aux Deux-Plateaux.
Son projet le plus ambitieux reste la Polyclinique Saint-Joseph, infrastructure sanitaire de 23 millions d’euros destinée à compléter l’offre médicale d’Abidjan. Cette diversification témoigne d’une volonté d’impact social qui dépasse le seul secteur agricole.
Influencer l’écosystème
Joseph-Désiré Biley ne se contente pas de diriger ses entreprises. Président de la Fédération Nationale des Industries et Services de Côte d’Ivoire (FNISCI) depuis 2000, il porte la voix du secteur privé face aux pouvoirs publics. Ses combats : allégement fiscal, simplification administrative, amélioration du climat des affaires.
Vice-président de la CGECI de 2000 à 2014, il a contribué au programme CAP-Entreprise visant à faire émerger 100 PME ivoiriennes performantes. Cette dimension de mentor se prolonge aujourd’hui dans son soutien aux start-ups AgriTech, où il met son expérience au service de l’innovation agricole.
Les défis surmontés
Le parcours de Biley n’a pas été exempt d’obstacles. TRCI a survécu aux crises politico-économiques des années 2000 et 2010-2011. Un conflit actionnarial de longue haleine l’a opposé à ses partenaires singapouriens dès 2001, avant qu’il ne parvienne à clarifier la structure capitalistique de l’entreprise.
Plus récemment, un litige foncier dans la zone de Vridi-Ako a mis en lumière les difficultés liées au foncier en Côte d’Ivoire. Biley a assumé pleinement ses investissements fonciers, déclarant qu’il ne permettrait à quiconque de le “spolier de ses terres”.
L’héritage en construction
À 73 ans, Joseph-Désiré Biley demeure un optimiste tourné vers l’avenir. En 2023, il a parrainé la première édition des Journées Nationales des Produits Certifiés, réaffirmant son engagement pour la qualité. La Polyclinique Saint-Joseph est en passe d’ouvrir ses portes, et TRCI maintient son rang de leader national dans un secteur où la Côte d’Ivoire est devenue le premier producteur africain de caoutchouc.
La transmission générationnelle s’organise également : son fils Joseph-Olivier Biley s’illustre dans l’entrepreneuriat, considérant son père comme un modèle et un mentor.
Le parcours de Joseph-Désiré Biley illustre parfaitement l’évolution de l’entrepreneuriat ivoirien : une génération formée à l’international qui revient investir au pays, transformant les atouts naturels en succès durables. Son héritage se mesure non seulement en chiffres d’affaires et en emplois créés, mais aussi en vocations inspirées et en structures renforcées pour les générations futures.
Dans un pays qui mise sur la transformation de ses matières premières, Joseph-Désiré Biley incarne cette capacité ivoirienne à concilier ambition économique et responsabilité sociale, local et global, tradition et modernité.
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