Agriculture ivoirienne : Le défi de l’autosuffisance rizicole

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L’agriculture demeure le pilier de l’économie ivoirienne, représentant 20 à 23% du PIB et employant 45,23% de la population active en 2023. Si le pays a consolidé sa position de leader mondial dans plusieurs filières d’exportation – premier producteur de cacao (40% de la production mondiale) et de noix de cajou brutes -, l’autosuffisance alimentaire reste un objectif inachevé, particulièrement pour le riz.

Un secteur agricole performant mais déséquilibré

La décennie 2015-2025 a été marquée par une croissance soutenue de la production agricole. En 2023, la production totale de cultures vivrières a bondi de 9,8% pour atteindre plus de 22,5 millions de tonnes, contre 20,4 millions de tonnes l’année précédente. Cette performance s’inscrit dans une dynamique plus large de transformation du secteur, portée par des politiques publiques ambitieuses et le soutien de partenaires internationaux.

Cependant, cette croissance masque des disparités importantes. Alors que la Côte d’Ivoire a atteint l’autosuffisance pour la plupart des cultures vivrières de base – maïs, sorgho, mil, igname et manioc -, la filière rizicole reste le talon d’Achille de la sécurité alimentaire nationale. Le pays importe encore 60% de sa consommation de riz, se classant au 5e rang mondial des importateurs et au 2e rang africain, derrière le Nigeria.

La filière rizicole : entre progrès et défis persistants

Les chiffres de la production rizicole révèlent une tendance encourageante mais insuffisante. La production de paddy a progressé en moyenne de 10,7% par an entre 2020 et 2023, atteignant 2 011,5 mille tonnes en 2023. Les rendements se sont également améliorés, passant de 2,3 tonnes par hectare en 2020 à 2,8 tonnes par hectare en 2023, avec un pic de 3,01 tonnes par hectare prévu pour 2024-2025.

Malgré ces progrès, l’écart avec la demande nationale continue de se creuser. La consommation de riz augmente de 3 à 4% par an, portée par une croissance démographique soutenue et l’évolution des habitudes alimentaires. La consommation par habitant a ainsi bondi de 20% au cours de la dernière décennie, atteignant 84 kg par an.

Cette situation a contraint le gouvernement à réviser ses ambitions. L’objectif initial d’autosuffisance en 2025 a été reporté à fin 2026, témoignant de la complexité des défis à surmonter. En 2023-2024, les importations ont représenté 1,6 million de tonnes de riz usiné, pour une valeur de plus de 722 millions de dollars, principalement en provenance d’Inde, du Vietnam, du Pakistan et de Thaïlande.

Des stratégies volontaristes mais confrontées aux réalités

Face à ces enjeux, la Côte d’Ivoire a déployé un arsenal de politiques publiques structurantes. La Stratégie Nationale de Développement de la Riziculture (SNDR) 2024-2030, dotée d’un budget de 1,3 milliard de dollars, vise une production de 3,2 millions de tonnes de riz usiné d’ici 2030. Cette stratégie s’articule autour de la réhabilitation de 64 barrages, de l’aménagement de 55 000 hectares de parcelles rizicoles et de la standardisation de 5 à 7 variétés à haut rendement.

Le Programme National d’Investissement Agricole (PNIA II) 2017-2025, avec un investissement public de 4 325,4 milliards de FCFA, poursuit trois objectifs stratégiques : développer la valeur ajoutée, renforcer les systèmes de production respectueux de l’environnement et promouvoir une croissance inclusive.

Ces efforts ont déjà porté leurs fruits dans certains domaines. Le Système de Riziculture Intensive (SRI), une approche agro-écologique intelligente face au climat, a permis d’augmenter les rendements de 56% dans les systèmes irrigués et de 86% dans les bas-fonds pluviaux. Le Programme d’Appui au Développement des Filières Agricoles (PADFA) a quant à lui doublé les rendements rizicoles, les faisant passer de 3 à 6 tonnes par hectare.

Les obstacles structurels persistent

Malgré ces initiatives, plusieurs contraintes structurelles continuent d’entraver l’essor de la filière rizicole. La faible productivité générale de l’agriculture ivoirienne reste préoccupante, avec seulement 5% des producteurs utilisant des engrais et un niveau de mécanisation de 5% seulement, bien loin de l’objectif de 30% fixé pour 2025.

L’accès au financement constitue un autre défi majeur. Seuls 5% des petits producteurs bénéficient de financements bancaires ou de systèmes financiers décentralisés, tandis que 74% conservent leur épargne en liquide à domicile. Cette situation s’explique par la complexité des procédures, l’insuffisance d’informations et des taux d’intérêt élevés.

Les problèmes fonciers ajoutent une dimension supplémentaire de complexité. Avec seulement 8% des exploitants détenant des titres fonciers, l’insécurité juridique freine les investissements et l’accès au crédit formel. L’Agence Française de Développement (AFD) soutient l’émission de certificats fonciers, avec 76 000 hectares déjà certifiés et 500 000 hectares supplémentaires prévus.

Le changement climatique, facteur aggravant

Le changement climatique représente une menace existentielle pour l’agriculture ivoirienne. Classée 147e sur 178 pays en termes de vulnérabilité climatique, la Côte d’Ivoire fait face à une augmentation projetée de 3,2°C de sa température moyenne sur 100 ans. Cette évolution pourrait réduire le PIB réel de 13% d’ici 2050 et empêcher 1,63 million de personnes d’échapper à la pauvreté.

Les impacts sur les cultures sont déjà visibles. La filière cacao, pilier de l’économie d’exportation, voit ses rendements chuter drastiquement, passant parfois de 600 kg par hectare à 50 kg par hectare. Pour le maïs, une hausse des températures de 1,5 à 2°C d’ici 2030-2040 pourrait entraîner une réduction de 40 à 80% de la surface cultivable.

Des solutions innovantes en gestation

Face à ces défis, la Côte d’Ivoire mise sur l’innovation et la digitalisation. Les plateformes numériques comme Agristore.ci ont déjà amélioré l’accès au marché pour plus de 400 000 personnes, dont 58,9% de femmes. L’Observatoire Agricole fournit des services de conseil en temps réel via SMS et applications mobiles.

Les partenaires internationaux renforcent leur soutien. La Banque Africaine de Développement a multiplié son engagement par sept entre 2015 et 2023, passant de 460 millions à 3,1 milliards de dollars. Son Mécanisme Africain de Financement du Développement des Engrais a permis de décupler l’approvisionnement en engrais pour les plantations de cacao.

Vers une transformation durable

L’ambition ivoirienne de devenir exportateur net de riz d’ici 2030 nécessite une transformation profonde du secteur. Au-delà des investissements dans les infrastructures hydro-agricoles et la mécanisation, c’est tout l’écosystème agricole qui doit évoluer : formation des producteurs, structuration des coopératives, amélioration de la transformation locale et développement de mécanismes de financement adaptés.

La création de l’Agence pour le Développement de la Filière Riz (ADERIZ) en remplacement de l’ancien Office National de Développement de la Riziculture illustre cette volonté de modernisation institutionnelle. Dotée d’outils de suivi-évaluation comme Delta Monitoring, l’agence permet un pilotage en temps réel des progrès vers l’autosuffisance.

L’enjeu dépasse la simple sécurité alimentaire. Il s’agit de construire une agriculture résiliente, capable de faire face aux défis climatiques tout en générant des emplois décents pour une population jeune en quête d’opportunités. Dans un contexte d’instabilité géopolitique mondiale et de volatilité des prix des matières premières, l’autosuffisance alimentaire devient un impératif stratégique pour la souveraineté nationale.

Si le chemin vers l’autosuffisance rizicole reste semé d’embûches, la dynamique enclenchée et l’engagement des partenaires laissent entrevoir des perspectives encourageantes. Le succès de cette transformation conditionnera largement la capacité de la Côte d’Ivoire à réaliser ses ambitions de pays émergent tout en préservant la stabilité sociale et alimentaire de sa population.


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