Côte d’Ivoire : l’âge d’or des hydrocarbures bouleverse la donne économique

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La Côte d’Ivoire s’apprête à entrer dans une nouvelle ère. Longtemps reléguée au rang de producteur pétrolier marginal en Afrique, elle pourrait bien rejoindre le peloton des puissances énergétiques du continent grâce à des découvertes récentes qui redessinent complètement son paysage économique. Une mutation spectaculaire qui transforme l’ancienne colonie française en acteur incontournable du secteur des hydrocarbures.

Des découvertes qui changent la donne

Jusqu’en 2020, la production pétrolière ivoirienne stagnait autour de 30 à 40 000 barils par jour, alimentant essentiellement les besoins domestiques. Un niveau modeste qui ne permettait pas au pays de rivaliser avec les géants nigérian ou angolais. Mais septembre 2021 marque un tournant historique avec la découverte du gisement Baleine par la major italienne Eni. Présenté comme la “première grande découverte de pétrole et de gaz en Côte d’Ivoire”, ce champ offshore recèle un potentiel colossal : 2,5 milliards de barils de pétrole et 3 300 milliards de pieds cubes de gaz.

Ces chiffres font plus que doubler les réserves nationales connues et propulsent d’emblée la Côte d’Ivoire dans une autre catégorie. L’ampleur de cette découverte a justifié un investissement de 10 milliards de dollars d’Eni pour le développement du champ en phases successives s’étalant jusqu’en 2027.

La mise en production s’est révélée encore plus prometteuse que prévu. La Phase 1, lancée en août 2023, a permis d’atteindre 22 000 barils équivalent pétrole par jour, dépassant largement les 12 000 barils initialement anticipés. La Phase 2, démarrée fin décembre 2024, porte déjà la production de Baleine à 50-60 000 barils par jour, soit encore au-dessus des prévisions initiales de 35 000 barils.

Une montée en puissance spectaculaire

L’ambition ne s’arrête pas là. La Phase 3, envisagée pour 2025-2026, pourrait faire culminer Baleine à 150 000 barils par jour et environ 200 millions de pieds cubes de gaz quotidiens d’ici 2027. Ces perspectives se sont encore renforcées avec la découverte en mars 2024 du gisement Calao, situé à 120 kilomètres à l’ouest de Baleine. Ce nouveau champ, estimé entre 1 et 1,5 milliard de barils équivalent pétrole, devient le deuxième plus important du pays après Baleine.

Riche en gaz naturel, Calao devrait couvrir les besoins nationaux en électricité une fois sa mise en production prévue vers 2026. À cet horizon, la production gazière ivoirienne pourrait atteindre 430 millions de pieds cubes par jour.

Ces développements permettent à la Côte d’Ivoire de viser une production nationale ambitieuse : 200 000 barils par jour et 450 millions de pieds cubes de gaz en 2028. Un objectif qui ferait du pays un producteur intermédiaire significatif en Afrique, certes loin derrière les mastodontes nigérian ou angolais, mais en nette progression.

Un écosystème industriel structuré

Cette montée en puissance s’appuie sur un modèle industriel déjà bien établi. Le secteur amont fonctionne sur un système de partage de production impliquant le groupe public PETROCI Holding et des compagnies internationales. PETROCI, créée en 1975, détient des intérêts minoritaires dans la plupart des permis aux côtés des opérateurs étrangers.

Eni s’impose désormais comme le leader incontesté avec Baleine et Calao, mais le paysage compte d’autres acteurs notables : Foxtrot International pour le gaz depuis les années 1990, Canadian Natural Resources qui opère le champ Baobab, ou encore Panoro Energy et Petroci CI-11 en partenariat sur le champ Espoir.

En aval, la Société Ivoirienne de Raffinage (SIR) d’Abidjan dispose d’une capacité de 75 000 barils par jour. Cette raffinerie traite une partie du brut local ainsi que du brut importé pour réexporter des produits pétroliers raffinés vers la sous-région ouest-africaine. Le marché de distribution est dominé par Vivo Energy (Shell) et TotalEnergies, tandis que l’État maintient son propre réseau via Petroci.

Un impact économique majeur

Les retombées économiques de cette révolution énergétique sont considérables. En 2022, avant même le démarrage de Baleine, les hydrocarbures contribuaient déjà à 3,4% du PIB ivoirien et 5,5% des recettes budgétaires. La vente des parts de production détenues par Petroci avait rapporté environ 112 milliards de francs CFA, soit près de 190 millions de dollars.

Avec Baleine en production, ces chiffres sont appelés à croître exponentiellement. À l’horizon 2025, les revenus annuels de l’État tirés des hydrocarbures pourraient se chiffrer en centaines de millions de dollars supplémentaires. Une manne qui transformerait la structure budgétaire du pays et offrirait de nouvelles marges de manœuvre pour le financement du développement.

Cette perspective de devenir exportateur net de pétrole d’ici 2030 représente un changement de paradigme fondamental pour une économie historiquement dépendante de l’agriculture et tournée vers l’importation énergétique.

Des défis à la hauteur des enjeux

Cette transformation spectaculaire ne va pas sans défis. Sur le plan géopolitique, l’expansion des activités offshore nécessite une vigilance constante. Le pays a déjà dû régler par voie juridique un différend frontalier avec le Ghana concernant la zone offshore ouest, finalement tranché par un arbitrage international en 2017. La présence de groupes armés et de piraterie dans le Golfe de Guinée impose également de renforcer les mesures de sécurité autour des installations.

Les risques environnementaux constituent un autre enjeu majeur. L’exploitation d’hydrocarbures offshore comporte des risques de marées noires qui pourraient affecter les écosystèmes côtiers et la pêche. Les autorités et les compagnies mettent en avant des plans de prévention conformes aux normes internationales, mais la vigilance reste de mise.

Plus fondamentalement, l’augmentation de la production pétrolière intervient à un moment où la communauté internationale prône la réduction des énergies fossiles. Le gouvernement ivoirien tente de concilier cette contradiction en positionnant le gaz comme “énergie de transition” plus propre que le charbon et en réservant prioritairement le gaz de Baleine au marché intérieur.

Une gouvernance renforcée

Pour gérer cette manne pétrolière naissante, la Côte d’Ivoire s’appuie sur un cadre réglementaire modernisé. Le Code pétrolier, mis à jour en 2012, offre un régime de partage de production standard avec des royalties autour de 10% et une fiscalité comprenant l’impôt sur les sociétés de 25%.

L’adhésion à l’Initiative pour la Transparence des Industries Extractives (ITIE) depuis 2013 a renforcé la gouvernance en imposant la publication annuelle des paiements des compagnies et des recettes étatiques. Cette transparence, rare en Afrique, constitue un atout pour attirer les investisseurs internationaux.

La Direction Générale des Hydrocarbures régule le secteur, délivre les permis et s’assure du respect des obligations environnementales et de contenu local. Un dispositif institutionnel qui a contribué à la réputation de stabilité politique et de respect des contrats du pays.

Vers une transformation économique durable

L’enjeu pour la Côte d’Ivoire sera de transformer cette richesse temporaire en développement durable. La réussite de cette mutation dépendra de la capacité du pays à éviter la “malédiction des ressources” qui frappe de nombreux producteurs de pétrole : corruption, négligence des autres secteurs, volatilité économique.

Les autorités ivoiriennes semblent conscientes de ces écueils et évoquent l’investissement d’une partie des revenus pétroliers dans la transition énergétique et la diversification économique. Un défi de taille qui déterminera si l'”or noir” et le “gaz bleu” de Côte d’Ivoire deviendront effectivement les leviers d’une croissance soutenable et inclusive.

L’histoire économique du pays est en train de s’écrire. Dans quelques années, la Côte d’Ivoire pourrait bien figurer parmi les success stories africaines de la transformation économique par les ressources naturelles. À condition de savoir les gérer avec sagesse.


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