Côte d’Ivoire : Le défi crucial de bâtir des champions nationaux

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Face à une économie dynamique mais dépendante, la Côte d’Ivoire doit relever le défi de créer ses propres champions économiques pour assurer sa souveraineté industrielle.

Avec une croissance économique soutenue oscillant entre 6 et 7% depuis 2012, la Côte d’Ivoire s’affirme comme la locomotive de l’Union Économique et Monétaire Ouest-Africaine (UEMOA). Pourtant, derrière ces chiffres impressionnants se cache un paradoxe : les secteurs stratégiques de l’économie ivoirienne – agro-industrie, BTP, télécommunications – restent largement dominés par des multinationales étrangères.

Une souveraineté économique en question

L’absence de véritables champions nationaux – ces entreprises ivoiriennes capables de rivaliser à l’échelle régionale ou continentale – soulève des questions fondamentales sur la souveraineté économique du pays. Un champion national ne se résume pas à une simple PME performante, mais constitue un acteur structurant, innovant, solidement ancré dans l’écosystème local et capable d’influencer positivement les chaînes de valeur.

Des modèles étrangers comme Airbus en Europe, le groupe Dangote au Nigeria ou l’OCP au Maroc démontrent l’importance stratégique de telles locomotives économiques nationales. Ces entreprises se distinguent par un contrôle local du capital, un impact systémique sur l’emploi et les chaînes d’approvisionnement, ainsi qu’une forte capacité d’innovation face aux défis mondiaux.

Des succès partiels qui appellent à être amplifiés

La Côte d’Ivoire n’est pas dépourvue de réussites entrepreneuriales. SIFCA, premier exportateur africain d’huile de palme, NSIA Banque, présente dans 12 pays africains, ou encore Côte d’Ivoire Telecom illustrent des avancées significatives. Cependant, ces succès restent insuffisants pour transformer en profondeur le paysage économique.

Les statistiques sont révélatrices : dans le secteur du BTP, seulement 20% des grands contrats sont remportés par des entreprises ivoiriennes selon la Chambre de Commerce (2023). Plus préoccupant encore, 90% des PME opèrent dans l’informel, sans accès aux marchés structurés et aux financements nécessaires pour leur développement.

Obstacles structurels à l’émergence de champions

Plusieurs freins systémiques expliquent cette situation. Le financement constitue le premier obstacle majeur : les taux d’intérêt bancaires oscillant entre 8 et 12% avec des garanties dissuasives, tandis que le capital-risque reste embryonnaire. Selon la Banque Africaine de Développement, seulement 2% des financements levés en Afrique de l’Ouest sont destinés à la Côte d’Ivoire.

La concurrence face aux multinationales s’avère également déséquilibrée. Les appels d’offres publics privilégient souvent les groupes étrangers pour leur capacité financière, tandis que des exonérations fiscales accordées aux investisseurs étrangers dans les zones franches créent une distorsion de concurrence.

Le déficit de compétences stratégiques constitue un autre frein important. L’enseignement supérieur comporte peu d’écoles d’ingénieurs ou de management orientées vers l’industrie. En matière de recherche et développement, la Côte d’Ivoire n’y consacre que 0,3% de son PIB, contre 1,5% au Maroc.

Enfin, la complexité administrative et fiscale pèse lourdement sur le développement des entreprises locales. Il faut en moyenne 11 jours pour créer une entreprise en Côte d’Ivoire, contre 3 au Rwanda selon la Banque Mondiale.

Une stratégie multidimensionnelle nécessaire

Pour faire émerger ses champions nationaux, la Côte d’Ivoire doit mettre en œuvre une stratégie volontariste et multidimensionnelle. Une politique industrielle ciblée s’impose, avec notamment un “protectionnisme intelligent” incluant des quotas réservés aux entreprises locales dans les secteurs clés comme la transformation du cacao, et une priorité accordée aux sociétés ivoiriennes pour les projets publics inférieurs à 10 milliards FCFA.

La réforme du système financier apparaît également cruciale. La création d’un fonds souverain dédié, capitalisant sur les recettes du cacao pour financer les entreprises en phase de croissance, pourrait constituer un levier puissant. Des “obligations patriotiques” incitant la diaspora ivoirienne – forte de 2 millions de personnes – à investir dans l’économie nationale représentent une autre piste prometteuse.

Le développement d’un véritable écosystème d’innovation est également indispensable, à travers la création de clusters sectoriels comme la zone agro-industrielle de Bouaké, et le renforcement des partenariats entre universités et entreprises pour former les talents de demain, notamment dans des domaines comme l’intelligence artificielle appliquée à l’agriculture.

S’inspirer des modèles africains performants

La Côte d’Ivoire gagnerait à s’inspirer des stratégies mises en œuvre par d’autres pays africains. Le Maroc a développé une stratégie “Offshoring 2025” combinant formation de talents et incitations fiscales. Le Rwanda a misé sur une simplification administrative drastique via sa plateforme en ligne RwandaONE. Quant au Nigeria, sa politique de “Nigerian Content” oblige les compagnies pétrolières à sous-traiter 45% de leurs services localement.

Une feuille de route ambitieuse à l’horizon 2030

Pour concrétiser cette vision, une feuille de route claire s’impose. La création d’un Conseil des Champions Nationaux, instance public-privé identifiant et accompagnant les entreprises à fort potentiel, constituerait une première étape. Le lancement d’un Fonds Souverain Industriel doté de 500 milliards FCFA, abondé par les taxes sur les multinationales, apporterait les moyens financiers nécessaires.

La réforme de l’éducation, avec l’introduction de licences professionnelles en agro-business et fintech, permettrait de développer les compétences stratégiques. Enfin, l’instauration d’une “préférence nationale” dans les appels d’offres publics favoriserait l’émergence d’entreprises locales compétitives.

Un enjeu de souveraineté nationale

La Côte d’Ivoire dispose des atouts nécessaires pour transformer ses PME en champions régionaux : talents, ambition, croissance économique. Ce qui manque aujourd’hui, c’est un écosystème cohérent et une vision stratégique partagée entre l’État, le secteur privé et la diaspora.

L’enjeu dépasse largement le cadre économique : il s’agit de bâtir une véritable souveraineté industrielle permettant aux Ivoiriens de contrôler leur destin économique. Sans imitation naïve des modèles étrangers, mais avec une volonté politique forte et un engagement collectif, la création de champions nationaux représente un impératif stratégique pour l’avenir du pays.


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