La pêche en Côte d’Ivoire : un secteur stratégique face à des défis structurels majeurs

  • 0
  • 62 vues

La Côte d’Ivoire, avec ses 566 kilomètres de façade maritime et son vaste réseau lagunaire, possède un potentiel halieutique considérable. Pourtant, ce secteur qui représente un pilier de la sécurité alimentaire nationale et une source d’emplois cruciale pour des centaines de milliers d’Ivoiriens, se trouve aujourd’hui à la croisée des chemins, confronté à des défis structurels qui menacent son développement durable.

Une importance socio-économique sous-estimée

Si la contribution directe du secteur de la pêche au PIB ivoirien reste modeste (entre 0,5% et 1%), son importance socio-économique est bien plus significative qu’il n’y paraît. Plus de 100 000 personnes sont directement impliquées dans la filière – pêcheurs, mareyeurs et transformatrices – tandis que près de 600 000 personnes en dépendent indirectement pour leur subsistance.

Le poisson constitue par ailleurs la principale source de protéines animales pour une grande partie de la population ivoirienne, avec une consommation par habitant parmi les plus élevées d’Afrique de l’Ouest, estimée entre 15 et 20 kg par an avant la crise du COVID.

Une production nationale largement insuffisante

Malgré son potentiel naturel, la Côte d’Ivoire fait face à un déficit chronique de sa production halieutique. Avec une production nationale oscillant entre 80 000 et 100 000 tonnes annuelles, le pays ne parvient à couvrir que 20 à 30% de ses besoins. Cette situation entraîne une dépendance massive aux importations de poisson congelé, principalement en provenance d’Europe du Nord, de Mauritanie, du Maroc et d’Asie.

Ces importations, qui dépassent souvent les 500 000 tonnes par an, représentent non seulement une hémorragie considérable en devises, mais aussi une vulnérabilité stratégique en matière de sécurité alimentaire.

Un secteur à deux vitesses

La pêche ivoirienne se caractérise par une dualité marquée entre un segment artisanal dominant en termes d’emplois et un segment industriel plus limité mais économiquement mieux valorisé.

La pêche artisanale, pratiquée le long des côtes et sur les plans d’eau intérieurs par des milliers de pirogues, représente la majorité des débarquements en volume (hors thon) et joue un rôle essentiel dans l’approvisionnement des marchés locaux. Elle souffre cependant d’une faible valorisation et d’équipements souvent vétustes.

Quant à la pêche industrielle, concentrée principalement à Abidjan et San Pedro, elle est dominée par la pêche thonière destinée majoritairement à l’exportation et par la pêche chalutière ciblant les espèces démersales. Bien que générant moins d’emplois directs, elle représente une valeur économique plus élevée grâce notamment à l’exportation de thon, faisant de la Côte d’Ivoire un acteur important sur ce segment en Afrique de l’Ouest.

Infrastructures défaillantes et chaîne de valeur fragile

L’état général des infrastructures demeure un frein majeur au développement du secteur. Si le Port d’Abidjan constitue le principal hub pour la pêche industrielle avec son terminal thonier, il souffre de congestion et d’installations vieillissantes. Les débarcadères artisanaux à Sassandra, Grand-Bassam, Grand-Lahou ou Fresco manquent cruellement d’infrastructures modernes.

La chaîne du froid, maillon essentiel pour la conservation des produits, reste particulièrement déficiente, entraînant des pertes post-capture estimées parfois jusqu’à 30-40%. Les méthodes traditionnelles de transformation, comme le fumage, dominent au niveau artisanal, avec des enjeux sanitaires et environnementaux importants.

L’aquaculture : une solution d’avenir encore embryonnaire

Face au déficit structurel de production et à la pression sur les stocks sauvages, l’aquaculture apparaît comme une solution prometteuse. La Côte d’Ivoire dispose de conditions naturelles favorables pour l’élevage d’espèces comme le tilapia et le poisson-chat.

Cependant, malgré les encouragements du gouvernement via le Ministère des Ressources Animales et Halieutiques (MIRAH) et l’Agence Nationale d’Appui au Développement Rural (ANADER), la production aquacole reste encore modeste, ne dépassant pas quelques milliers de tonnes annuelles.

Les obstacles sont nombreux : coût élevé des aliments importés, accès limité aux alevins de qualité, manque de compétences techniques, faible structuration de la filière et difficultés d’accès au financement pour les petits producteurs.

Des défis environnementaux et de gouvernance critiques

Le secteur est également confronté à des défis environnementaux majeurs. De nombreux stocks côtiers montrent des signes inquiétants de surexploitation, avec une diminution de la taille moyenne des captures pour certaines espèces.

La Zone Économique Exclusive ivoirienne reste vulnérable à la pêche illicite, non déclarée et non réglementée, pratiquée par des navires étrangers et parfois locaux. Les capacités de surveillance maritime demeurent insuffisantes malgré les efforts déployés.

Par ailleurs, la pollution issue des activités industrielles, agricoles et urbaines affecte gravement les écosystèmes aquatiques, notamment les lagunes qui constituent des zones de nurserie essentielles pour de nombreuses espèces.

Vers une transformation stratégique ?

Pour relever ces défis, le gouvernement ivoirien a élaboré plusieurs plans stratégiques, dont le récent Plan Stratégique de Développement de l’Élevage, de la Pêche et de l’Aquaculture (PSDEPA) 2022-2026.

Des initiatives sont en cours pour renforcer la surveillance maritime, promouvoir des pratiques de pêche durables, développer l’aquaculture et moderniser les infrastructures. Des partenariats public-privé sont également explorés, notamment pour le développement de débarcadères aménagés et de fermes aquacoles modernes.

La “croissance bleue” pourrait offrir des perspectives intéressantes au-delà de la pêche traditionnelle : meilleure valorisation des captures, développement de la pêche récréative à potentiel touristique, ou encore gestion intégrée des zones côtières.

Le rôle des femmes, omniprésentes dans la transformation et le commerce du poisson, et l’implication des jeunes seront déterminants pour moderniser le secteur et assurer sa pérennité.

Un avenir à construire pour la richesse bleue ivoirienne

Le secteur de la pêche et de l’aquaculture en Côte d’Ivoire, essentiel pour la sécurité alimentaire et l’emploi, se trouve aujourd’hui dans une situation paradoxale : un potentiel considérable mais sous-exploité, confronté à des défis structurels majeurs.

La réussite de sa transformation nécessitera une volonté politique forte, des investissements ciblés, une meilleure coordination entre les acteurs et une coopération régionale et internationale accrue. Sans cela, cette richesse bleue risque de rester sous-exploitée, compromettant un secteur vital pour l’économie et la société ivoirienne.

Le développement d’un secteur halieutique durable, moderne et productif s’inscrit pleinement dans la vision globale de développement économique et social de la Côte d’Ivoire. C’est un défi majeur, mais aussi une opportunité à saisir pour réduire la dépendance aux importations, créer des emplois et améliorer la balance commerciale du pays.


En savoir plus sur businessechos.net

Subscribe to get the latest posts sent to your email.