Bloomfield Investment Corporation : Le pionnier africain qui révolutionne la notation financière en Afrique de l’Ouest

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Dans l’univers feutré de la finance africaine, un nom s’impose progressivement comme une référence incontournable : Bloomfield Investment Corporation. Créée il y a moins de deux décennies, cette agence de notation financière ivoirienne a réussi l’exploit de se frayer un chemin dans un secteur longtemps dominé par les géants occidentaux. Comment une startup africaine a-t-elle pu s’imposer dans le domaine stratégique de l’évaluation du risque crédit ? Enquête sur cette success story entrepreneuriale qui change la donne pour le financement en Afrique de l’Ouest.

Une vision audacieuse née dans l’adversité

L’histoire de Bloomfield Investment Corporation débute en septembre 2007 à Abidjan. Stanislas Zézé, financier ivoirien diplômé de l’université du Michigan et ancien cadre de Shell, prend alors une décision qui paraît insensée aux yeux de beaucoup : démissionner de son poste confortable de directeur du risque pour l’Afrique chez le géant pétrolier pour fonder la première agence de notation financière d’Afrique francophone.

“À l’époque, personne ne croyait qu’une agence de notation africaine pouvait avoir sa place sur le marché”, confie un proche du dossier. Les débuts sont particulièrement difficiles : près de deux ans d’attente avant de décrocher un premier client en 2009, et sept longues années avant d’atteindre l’équilibre financier. Une traversée du désert qui aurait découragé plus d’un entrepreneur.

Pourtant, Stanislas Zézé persévère, porté par une conviction : “L’Afrique mérite qu’on la note selon ses propres mérites.” Cette phrase, devenue la devise informelle de Bloomfield, résume toute la philosophie de l’entreprise. Son pari ? Adapter les standards internationaux de la notation financière aux réalités locales du continent africain, en tenant compte de paramètres souvent négligés par les agences occidentales.

De l’outsider au leader régional

Quinze ans plus tard, le pari semble gagné. Bloomfield Investment Corporation s’est imposée comme une référence sous-régionale en matière de notation financière. L’agence fait désormais partie du cercle restreint des quatre principales agences de notation implantées sur le continent africain.

Les chiffres parlent d’eux-mêmes : partie avec seulement 5 employés, l’entreprise compte aujourd’hui plusieurs dizaines de collaborateurs, dont environ 60% de femmes – un fait notable dans le secteur financier généralement dominé par les hommes. Plus impressionnant encore, Bloomfield revendique plus de 2 000 notations attribuées depuis sa création et un portefeuille dépassant les 100 clients actifs.

Ces clients se répartissent en cinq catégories principales : banques et institutions financières, entreprises du secteur privé, établissements et entreprises publics, collectivités locales, et États souverains. La diversité de ce portefeuille témoigne de la confiance croissante accordée à l’expertise de Bloomfield par l’ensemble des acteurs économiques de la région.

Une expansion géographique ambitieuse

L’ambition de Bloomfield ne s’arrête pas à la Côte d’Ivoire, ni même à l’UEMOA (Union économique et monétaire ouest-africaine). Initialement focalisée sur l’Afrique de l’Ouest francophone, l’agence opère désormais dans une vingtaine de pays africains et a même réalisé des missions en Europe et en Asie.

Le groupe affiche une ambition claire pour 2025 : étendre son empreinte à l’ensemble des 54 pays d’Afrique dans la prochaine décennie. Pour accompagner cette croissance, Bloomfield a structuré ses activités en plusieurs entités : Bloomfield Ratings pour la notation, Bloomfield Intelligence pour la recherche, et Bloomfield PME pour le conseil aux petites entreprises.

“Cette organisation vise à renforcer notre efficacité tout en évitant les conflits d’intérêts entre la fonction de notation et les activités de conseil ou d’analyse”, explique un cadre dirigeant de l’entreprise. Une approche qui témoigne d’un souci constant de crédibilité et d’indépendance.

Un acteur clé de la transparence financière ouest-africaine

L’essor de Bloomfield Investment Corporation a eu un impact tangible sur les marchés financiers d’Afrique de l’Ouest. L’agence a contribué à améliorer significativement la transparence financière dans la région.

Désormais, lorsqu’un État ou une entreprise souhaite émettre un emprunt obligataire à la BRVM (Bourse Régionale des Valeurs Mobilières) ou solliciter un financement bancaire important, il est courant qu’il se soumette à la notation. Cet exercice oblige les émetteurs à ouvrir leurs livres comptables et à dévoiler leur stratégie aux analystes, instaurant par là même une discipline de transparence et de bonne gouvernance.

“En sensibilisant les acteurs aux critères d’évaluation comme le niveau d’endettement, la rentabilité ou la gouvernance, la notation financière devient un levier d’amélioration des pratiques”, souligne un observateur du secteur. Les dirigeants publics comme privés savent qu’une amélioration de leurs indicateurs se traduira par une meilleure note et donc par une confiance accrue des investisseurs – et in fine par un coût de financement plus avantageux.

Des notations qui font référence

Les notations de Bloomfield sont désormais intégrées aux processus de décision des établissements financiers régionaux. La Banque Centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) et les régulateurs bancaires ont introduit l’utilisation des notes dans l’évaluation des risques de contrepartie des banques.

Parmi les cas emblématiques, on peut citer la notation du Sénégal, qui s’est vu attribuer en 2021 une note de A- à long terme (qualifié de “risque faible”) et A2 à court terme. Cette évaluation, délivrée en présence du ministre sénégalais des Finances, a rassuré les investisseurs sur la solidité financière du pays.

Dans le secteur privé, la SODECI (Société de distribution d’eau de Côte d’Ivoire) a reçu de Bloomfield la note AA- avec perspective stable en 2020, reflétant une qualité de crédit jugée très élevée. L’agence a salué les efforts de maîtrise des charges et la solidité financière de cette société d’utilité publique.

Plus impressionnant encore, la CRRH-UEMOA (Caisse Régionale de Refinancement Hypothécaire) affiche depuis plusieurs années la meilleure note de la grille Bloomfield, à savoir AA+. En 2024, l’agence a même confirmé cette note avec une perspective positive vers un potentiel AAA, la note maximale.

Une méthodologie adaptée aux réalités africaines

Ce qui distingue Bloomfield des agences internationales, c’est son approche contextualisée de la notation. “Les facteurs de risque doivent être appréciés dans la monnaie locale et le contexte propre à chaque pays”, explique en substance Stanislas Zézé pour justifier l’approche de son agence.

Concrètement, Bloomfield intègre des paramètres locaux (croissance en monnaie locale, enjeux spécifiques de gouvernance, etc.) dans ses évaluations, afin d’offrir une lecture plus fine de la solvabilité des acteurs africains. Cette contextualisation ne signifie pas pour autant un abaissement des exigences : l’agence applique les mêmes standards de rigueur que ses homologues internationales.

“Nous utilisons les mêmes principes fondamentaux que les grandes agences mondiales, mais en tenant compte du cadre contextuel d’opération des entités notées”, précise un analyste de Bloomfield. Cette approche sur mesure explique en grande partie la confiance accordée par les acteurs locaux à l’agence ivoirienne.

Innovation et digitalisation

Bloomfield Investment Corporation ne se repose pas sur ses lauriers. L’agence cherche continuellement à innover pour répondre aux besoins évolutifs du marché. Récemment, elle a franchi un nouveau cap en lançant une filiale dédiée à l’intelligence économique : Bloomfield Intelligence.

Inaugurée en janvier 2025, cette structure autonome vise à séparer l’activité de recherche économique de la fonction de notation pure. Elle dote Bloomfield de nouveaux outils technologiques et analytiques, tels que la plateforme Bloomfield Tigran, qui permet d’évaluer la qualité de crédit des entreprises en temps réel grâce à l’exploitation de données actualisées en continu.

Autre innovation notable : le Bloomfield Private Index, qui mesure mensuellement la performance du secteur privé africain, fournissant un indicateur inédit de la conjoncture des affaires sur le continent. Enfin, Bloomfield Forecast propose des prévisions économiques sur différentes périodes pour les pays africains.

Les défis à venir

Malgré ses succès, Bloomfield Investment Corporation fait face à plusieurs défis d’avenir. Le premier est celui de la confiance à l’échelle internationale. Si l’agence est bien implantée dans la région et reconnue par les acteurs locaux, il lui reste à convaincre plus largement les investisseurs mondiaux de la fiabilité de ses notations.

Dans un monde où les “Big Three” occidentaux (Moody’s, Standard & Poor’s et Fitch) dominent depuis des décennies, imposer une voix alternative africaine n’est pas chose aisée. Bloomfield devra continuer à démontrer l’impartialité et la robustesse de sa méthodologie.

Un autre défi tient à la pérennisation de son modèle économique et à l’extension de son marché. Pour continuer à grandir, Bloomfield devra conquérir de nouveaux clients, notamment dans les pays africains anglophones où la concurrence des agences sud-africaines ou internationales est forte.

L’émergence possible de nouvelles agences locales – voire l’arrivée d’une agence de notation panafricaine soutenue par l’Union africaine prévue pour fin 2025 – pourrait également rebattre les cartes. Bloomfield envisage ces perspectives plus comme une opportunité de coopération que comme une menace, soulignant que le marché de la notation en Afrique est largement sous-développé par rapport aux besoins de financement du continent.

Un rôle stratégique pour le financement du développement

Au-delà de son activité commerciale, Bloomfield joue un rôle stratégique pour le financement du développement africain. Stanislas Zézé insiste souvent sur la vocation de la notation à servir le bien commun économique.

Concrètement, les notations de Bloomfield peuvent devenir un outil de pilotage pour les États africains : en identifiant clairement les points forts et faibles des finances publiques, l’agence offre un miroir aux gouvernements, susceptible de guider des politiques plus saines.

Vis-à-vis des PME, l’enjeu est de prouver que la notation peut être un levier de croissance. Si les petites entreprises adoptent les outils de Bloomfield PME pour mieux gérer leur risque clients, elles réduiront leurs pertes et présenteront un profil plus attractif pour les banques. À terme, cela pourrait favoriser un meilleur accès au crédit pour ces PME qui forment le tissu économique local.

Une référence pour l’entrepreneuriat africain

L’histoire de Bloomfield Investment Corporation illustre parfaitement le potentiel de l’entrepreneuriat africain face aux défis du continent. Parti de rien en 2007, Stanislas Zézé a bâti en quinze ans une entreprise qui fait aujourd’hui référence dans son domaine.

Cette réussite lui a valu d’être reconnu comme une fierté nationale – Forbes l’a honoré en 2016 – et lui a même valu le surnom médiatique de “souverainiste de la notation financière africaine” pour son plaidoyer en faveur d’une expertise locale indépendante.

“Ce parcours montre qu’il est possible de créer des champions africains dans des secteurs stratégiques longtemps dominés par les acteurs internationaux”, commente un analyste financier basé à Abidjan. Une leçon d’optimisme pour toute une génération d’entrepreneurs du continent.

Un modèle à suivre

Bloomfield Investment Corporation s’est imposée comme un acteur stratégique du financement en Afrique de l’Ouest. Son parcours illustre le potentiel des initiatives locales dans un secteur longtemps dominé de l’extérieur.

L’agence a su adapter un outil financier occidental (la notation de crédit) aux besoins africains, prouvant par là qu’il était possible de “noter africain” avec sérieux et crédibilité. Son impact se fait sentir dans la confiance accrue sur les marchés domestiques, la diffusion de meilleures pratiques de gouvernance et l’ouverture de nouvelles perspectives de financement pour les États et entreprises africains.

À l’heure où l’on parle de plus en plus de “solutions endogènes” pour le financement du développement africain, l’expérience Bloomfield montre que les agences de notation africaines peuvent non seulement inspirer confiance, mais aussi servir de leviers de changement et de progrès pour l’économie du continent.

Trait d’union entre les investisseurs et l’Afrique de l’Ouest, Bloomfield Investment Corporation démontre que la notation financière, loin d’être un simple verdict technique, peut devenir un véritable outil de gouvernance et de développement adapté au contexte africain.


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