Comment les entreprises doivent maintenant penser et co-construire le télétravail à long terme
Le recours au télétravail durant la crise sanitaire du COVID-19 aura levé bien des freins. La nécessaire digitalisation des organisations planifiée parfois sur des années aura été réalisée dans de nombreuses entreprises en quelques semaines voire en quelques jours pour permettre aux salariés pour lesquels c’était envisageable de télétravailler durant le confinement. Il a fallu équiper ces derniers, sécuriser l’accès aux données de l’entreprise, etc.
La nécessaire confiance, car pilier du télétravail, a dû être accordée. Avant cette crise, il y avait des entreprises qui permettaient de télétravailler, mais certaines l’interdisaient les lundis, mercredis et vendredis. Suspicions de prolongation de week-ends et de gardes d’enfants. Et voilà qu’avec cette crise il a fallu permettre aux salariés de télétravailler alors même que les enfants étaient à demeure à la maison et qu’il fallait leur accorder du temps : téléchargement et explications de cours, échanges avec le corps enseignant, aide aux devoirs, etc. Et pour ce qui est de prolonger le week-end, suspicion envolée également car il fallait télétravailler 5 jours par semaine y compris donc les fameux lundis et vendredis.
La perception du télétravail par les salariés a également évolué et leurs réticences ont été revues.
Désormais, on peut les entendre dire : “Je n’osais pas télétravailler avant car c’était très mal vu dans ma boîte. Il y avait toujours cette idée que le salarié en télétravail ne travaillait pas vraiment et qu’il aurait pu poser un jour de congé ou de RTT”. Beaucoup de préjugés auto-limitants expliquent ainsi ce faible recours au télétravail pré-confinement. Des entreprises accordaient un nombre forfaitaire de jours en télétravail et bien souvent moins de 50% des salariés y avaient recours. Ils sont aujourd’hui 73% à vouloir continuer à télétravailler, selon une étude Malakoff Humanis de mai 2020.
On ne pourra plus faire comme avant
Il nous faudra apprendre de cette expérience, subie, en mode dégradée
On ne pourra plus refuser le télétravail en invoquant les raisons d’hier. Les arguments d’hier ne tiennent plus. On peut travailler même lorsque le “chef” ne nous voit pas. On peut travailler de chez soi même un lundi, un mercredi ou un vendredi, sans pour autant prolonger son week-end ni garder ses enfants. De nombreux salariés sont aujourd’hui équipés pour travailler de chez eux. Pour la plupart, les raisons avancées hier pour ne pas permettre de télétravailler ne sont plus opérantes. Et même si des risques demeurent, ceux-ci sont évitables.
On ne pourra plus l’accorder aux cadres et le refuser aux autres catégories professionnelles. Avant le confinement, beaucoup de chartes sur le télétravail ne le permettaient qu’aux dirigeants et cadres. Les autres catégories professionnelles s’en trouvaient ainsi exclues. Durant la crise sanitaire, le critère pour télétravailler n’a plus été le statut, et c‘est tant mieux !
On ne devra pas attendre l’urgence pour penser le télétravail. Cette réflexion sur la mise en œuvre du télétravail est à mener maintenant. Ne laissons pas les prochaines grèves, perturbations des transports, mouvements des Gilets Jaunes ou autres nous dicter les modes de travail à mettre en place dans nos entreprises. N’attendons pas d’être au pied du mur pour décider de ce qui est bon pour l’entreprise et ses salariés.
Il nous faudra tirer les leçons de ce qui s’est passé et surtout se donner les moyens de faire MIEUX.
Dès lors comment faire ? ‘Le télétravail se pense et se co-construit’
N’attendons pas la pluie pour nous construire un abri. Les entreprises doivent réfléchir à une amélioration de leurs modes de travail. Mais elles ne doivent pas y réfléchir toutes seules, sans leurs salariés. Il est important de ne pas l’imposer mais de le dessiner ensemble : les métiers et postes concernés, les équipements à fournir, les formations nécessaires, le nombre de jours ‘télétravaillables’, la phase de test à avoir, les mesures et ajustements à faire, etc.
Apprendre de ce qui s’est passé : vive le retour d’expérience. Encore mieux que toute théorie sur le sujet, l’expérience des salariés sera riche de leçons. Ils l’ont fait ! Qui mieux qu’eux pour en parler, décrire les facilités eues, les difficultés rencontrées, les avantages de ce mode de travail, les outils digitaux utilisés/ceux qu’ils auraient aimé avoir, les bonnes/mauvaises pratiques managériales observées, les difficultés de déconnexion, le risque d’isolement et de solitude, etc. De l’expérience vécue, que faudrait-il garder, améliorer, tester, jeter ?
Une commission dédiée au télétravail. Avoir un groupe de travail sur le sujet sera un plus. Il pourra être composé de : référents télétravail (managers et salariés), membres du Comité Social et Économique, vos RH bien sûr, le médecin du Travail. Vos référents télétravail serviront de relais auprès des salariés et d’intermédiaires pour vous remonter leurs attentes et remarques.
Un plan de formation spécifique. Le télétravail est un changement comme un autre : à ce titre il s’accompagne. Et cela passe par de la sensibilisation, de l’information mais aussi de la formation. Il conviendra de mettre en place un plan de développement de compétences pour bien télétravailler. Ces formations porteront sur diverses thématiques : de l’utilisation d’outils digitaux en passant par la gestion de son temps et de ses priorités, gestes et postures, sans oublier la formation des managers.
Quelle culture managériale ? Une culture managériale qui renonce au micro-management. Vos managers devront être tout sauf des “petits chefs”, de ceux qui sont sur le dos des salariés plutôt que d’être à leurs côtés. Fini le “Command And control” et bienvenue à la confiance, à l’autonomie.
Quels jours en télétravail ? Tous les jours travaillés sont “télétravaillables”, pour autant que la fonction le permette. A chaque manager de définir les jours qu’il réserve au présentiel. Il le fera notamment au regard du bon fonctionnement de son équipe, de son service, de l’entreprise. Ainsi par exemple, l’on comprendra qu’un responsable paie ne favorise pas le télétravail en fin de mois car il faut préparer la paie des salariés. Un responsable comptable par contre l’interdira au moment des clôtures budgétaires par exemple. Interdire des jours spécifiques est en soi acceptable dès lors que cela n’est pas l’expression d’un manque de confiance.
Combien de jours en télétravail ? A chaque organisation de définir le forfait de jours en télétravail qu’elle permet. Ce point est essentiel car la survenance de certains risques du télétravail en dépend. Trouver la juste mesure, le bon dosage est important car le télétravail est un pharmakon. Mal dosé, ce remède peut devenir un poison et les effets indésirables fort nuisibles : sentiment de solitude, risque d’isolement, dilution du risque d’appartenance à l’entreprise, risque d’augmentation des risques psychosociaux, etc.
Une phase pilote – suivi – ajustements. Il serait tout à fait opportun d’avoir une phase pilote. À la fin de cette période d’essai, on en fera le bilan et éventuellement on procédera à des ajustements. Cela permettra d’avancer progressivement, de se roder, et de corriger le tir le cas échéant. Un bilan pourra idéalement être fait à 6 mois puis à 1 an par exemple. Tout ceci contribuera à mieux faire et à mettre en place une démarche gagnant-gagnant.
A chaque entreprise de trouver chaussure à son pied, d’avancer à son rythme et surtout avec ses salariés.